Zafia Ryan

CHIANG CHING : UNE DIRIGEANTE COMMUNISTE FIDÈLE À LA RÉVOLUTION

(paru en 1993 dans la revue anglophone A World To Win)


1. INTRODUCTION

Pendant quinze années, Chiang Ching a été tenue captive par les révisionnistes qui ont pris le pouvoir en 1976, et rétabli le capitalisme en Chine.

Sa vie prit fin dans des circonstances très suspectes le 14 mai 1991, entre les mains teintées de sang de ses ignobles ennemis.

Avec la mort de la camarade Chiang Ching, le prolétariat international a perdu l'un des ses plus brillants leaders.

Pour ceux qui osent rêver de révolution - et encore plus pour ceux qui osent la faire - Chiang Ching demeure un modèle de courage, par son combat incessant contre les vieilles traditions, traçant la voie pour l'émergence d'idées neuves, à travers les méandres et les revirements parfois sanglants qui ont permis de donner naissance à un nouvel ordre social.

Par son dévouement pour la cause du communisme - pour la cause de Mao - toute sa vie durant, elle fut en mesure d'apporter d'importantes contributions à l'expérience et à la compréhension de la révolution prolétarienne.

Elle défendit de toute son âme le droit des masses à secouer les cieux et à défier la tradition dans chaque sphère de la vie. Elle lutta pour transformer le monde de bas en haut, pour balayer les classes et toutes formes d'inégalités sociales, ce qui lui occasionna des conflits avec ceux qui se sont opposés à cette vision ambitieuse que lui avait enseignée Mao.

Le marxisme-léninisme et la pensée de Mao Tsé-toung auront été au coeur de l'idéologie qu'elle a toujours défendue.



Bien qu'elle n'eut pas l'occasion de jouer un rôle public dans la vie politique avant les années 60, Chiang Ching y fut bien préparée grâce aux tâches d'enquêtes qu'elle assuma dans le domaine des arts, et en d'autres domaines, comme celui pour la réforme des terres.

Dans les vives luttes internes qui secouèrent le Parti au moment du Grand Bond en avant, elle aida activement Mao et les éléments révolutionnaires à lancer la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne.

Elle plongea rapidement et avec enthousiasme au coeur du combat, comme l'exigeaient les temps troublés de la Révolution Culturelle.

Elle y injecta une puissante énergie politique et en assuma en partie la direction, soutenant la jeunesse rebelle, et prodiguant des conseils pratiques au peuple qui luttait pour sortir des sentiers battus et prendre le chemin de l'innovation socialiste.

Chiang Ching devint rapidement une cheffe de file incontournable de la gauche révolutionnaire au sein du Parti.

C'est son combat contre les révisionnistes, majoritaires dans les importants domaines de la culture et de l'éducation, qui traça la voie à leur renversement durant la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne.

Elle fit aussi sa marque en révolutionnant les arts.



Elle lutta pour l'avancement des femmes autant en éliminant certaines barrières que donnant par son exemple un modèle vivant d'émancipation.

En tant que dirigeante éminente du Parti Communiste Chinois au cours des dix dernières années du pouvoir prolétarien, elle s'impliqua activement dans la lutte des classes, féroce à l'intérieur du Parti, combattant sans relâche pour renforcer le caractère révolutionnaire et la ligne juste du Parti sous la conduite de Mao, afin de défendre l'avance de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne et la consolider.

Les camps révisionnistes au sein du P.C.C. espéraient briser la ligne révolutionnaire de Mao, profitant de chaque tournant de la lutte et de chaque nouveau réalignement au sein du Parti, pour tenter de restaurer le capitalisme et ramener la Chine sur la route de la prostitution à l'impérialisme.

Moins d'un mois après le décès de Mao, ils joignirent leurs forces et arrêtèrent Chiang Ching ainsi que ses supporters de la gauche.

Les aspirants capitalistes durent immédiatement supprimer l'opposition.

Au début, ils s'affichèrent comme les véritables héritiers de Mao, et osèrent dépeindre Chiang Ching et la gauche comme révisionnistes, renégats et ennemis du grand dirigeant (uniquement pour berner le peuple, ils eurent le culot de joindre quelques-uns de leurs chenapans au procès avec la « Bande des Quatre », comme elle et ses trois camarades étaient désignés.)

Appuyés en cela par un appareil répressif puissant, ils cherchèrent à discréditer Chiang Ching en orchestrant une campagne perfide pour salir sa carrière, dans le dessein d'écarter ses supporters de la voie révolutionnaire, suite à leur coup d'État et à leur usurpation du pouvoir.

Mais elle refusa de broncher sous leurs viles attaques et, malgré leurs menaces, elle les défia de la tuer, continuant avec son camarade révolutionnaire Chang Chun-chiao à arborer le drapeau rouge, à défendre la révolution et à confondre les pro-capitalistes et leur système dans le procès historiques de 1980.



2. UNE REBELLE CONTRE LA TRADITION

Dès son jeune âge, Chiang Ching se montra rebelle. Elle grandit à l'époque où la barbarie impérialiste affamait la Chine, alors que, comme le dit Mao, « les arbres étaient aussi nus que le peuple parce que le peuple en mangeait les feuilles », et dans des conditions d'oppression féodales dans lesquelles « les paysannes souhaitaient être réincarnées sous forme de chiens pour être moins misérables 1 ».

Li Chin (comme elle se nommait alors) naquit dans une région contrôlée par les Allemands, dans la province de Shantung, d'une famille d'artisans pauvres en 1914.

La région fut occupée par le Japon lors de la Première guerre mondiale, et utilisée comme rampe d'accès pour ses visées sur toute la Chine.

Son père, un fabricant de roues, jetait sa rage d'être pauvre sur son épouse et ses enfants, les rossant jusqu'à ce que sa femme le quitte finalement, pour un emploi de suivante chez un propriétaire terrien.

Chiang Ching se rappelle avoir souffert souvent de la faim, mais elle se comptait chanceuse de pouvoir fréquenter l'école. Elle raconta, lors d'une entrevue, que la matière qu'elle détestait le plus à l'école primaire était le cours sur la morale de Confucius (ou comment obéir aux autorités) et qu'elle fut battue pour distraction.

Elle se souvient de sa nausée et de son horreur d'enfant à la vue des paysans endettés que l'on décapitait pour ensuite les exposer sur un piquet, ainsi que des exécutions de voleurs de nourriture, dont le son assaillait ses jeunes oreilles 2.

Chiang Ching commença à s'intéresser au théâtre, lorsqu'à l'âge de 15 ans, elle étudia dans une école expérimentale d'art dramatique opérée par le gouvernement.

Sa demande n'avait été acceptée qu'en raison d'un manque de candidatures féminines.

Suite à la fermeture de l'école peu de temps après, sous les pressions d'une armée de garnison stationnée à Tsinan, elle se rendit à Pékin en compagnie de plusieurs professeurs et étudiants, comme membre d'une troupe de théâtre en tournée.

Ce fut l'incident « Mudken » du 18 septembre 1931, quand les impérialistes japonais s'emparèrent de la Mandchourie, qui marqua le premier tournant politique pour Chiang Ching.

Depuis son tout jeune âge, elle éprouvait de l'aversion pour l'occupant étranger dans son pays, mais c'est alors seulement qu'elle décida de s'impliquer.

Elle se rallia bientôt à la Ligue des auteurs de gauche (qui était dirigée à l'époque par le Parti Communiste) à Tsingtao, où elle travaillait dans la bibliothèque universitaire.

Elle commença alors à lire les écrits de Lénine.



Avec des amis, elle forma la Société théâtrale de la mer qui allait dans les campagnes jouer des pièces contre l'occupation japonaise et popularisait les communes « soviétiques » mises sur pied par l'Armée Rouge chinoise.

Les acteurs découvrirent alors un degré de pauvreté qu'ils n'avaient jamais vu dans les villes et réalisèrent plus clairement que la démarcation entre les objectifs du Kuomintang nationaliste et ceux du Parti Communiste était loin d'être académique.

Chiang Ching soutenait une ligne de « résistance totale » face à l'agression nipponne et se fit une réputation de « fauteuse de troubles » dans les cercles universitaires qu'elle fréquentait.

Dans les faits, Chiang Ching a connu seulement huit années d'éducation formelle, dont cinq à l'école primaire, bien qu'elle assista fréquemment aux cours universitaires qui l'intéressaient.

Comme elle le dit elle-même, c'est de son éducation « sociale » qu'elle a appris le plus, de cette école de l'expérience qui pour elle débuta en 1933, quand elle fit une demande et fut admise dans le Parti Communiste, alors clandestin.

C'est dans la période turbulente des années 30, qu'elle réalisa que faire la révolution était beaucoup plus important que l'écriture de poèmes.

Chiang Ching comprit cependant la difficulté de devenir un membre actif du parti quand elle fut envoyée à Shanghaï pour y faire du travail au printemps 1933.

Sous la tutelle de Wang Ming, principale adversaire politique de Mao, et de sa ligne d'insurrection urbaine, la structure du Parti y était presque complètement dissoute et l'opportunisme régnait en maître 3.

Plusieurs de ces leaders du P.C.C., quand ils ne collaboraient pas directement avec le Kuomintang, utilisaient les forces nouvelles que représentaient les centaines de milliers d'intellectuels de gauche, attirés par une ville cosmopolite comme Shanghaï et qui étaient séduits par les idées communistes, pour se protéger eux-mêmes des pièges habituels du Kuomintang.



Le premier poste de Chiang Ching à Shanghaï fut avec la Troupe de travail-études de cette ville.

Elle devint actrice de théâtre et joua dans de nombreuses pièces progressistes, qui en appelaient au peuple pour défendre la Chine contre la Japon.

Pendant son affectation, et plus tard dans ses fonctions d'enseignante à l'école du soir pour les ouvrières, elle visita plusieurs manufactures et se familiarisa avec les dures conditions du travail contractuel, en particulier dans les grosses filatures, propriétés des Japonais, et dans les manufactures de cigarettes, qui appartenaient aux Britanniques.

Elle fut arrêtée par le Kuomintang (avec l'« aide » de l'un de ses vieux amis, devenu renégat du P.C.C. au profit de la police secrète) et fut détenue huit mois. Au moins, raconta-t-elle, son incarcération lui aura appris quelques trucs pour tromper ses geôliers du Kuomintang.

Être actrice de cinéma dans la décennie 30 à Shanghaï signifiait se heurter à la tradition sur chaque front.

C'était une profession méprisée et celles qui la pratiquaient étaient considérées comme des femmes « légères » aux idées socialement radicales.

Les actrices étaient l'objet de persécutions personnelles, perpétrées dans le but de purifier ces « victimes de leurs instincts ».

Ce harcèlement en accula plus d'une au suicide.

Le réputé écrivain révolutionnaire Lu Hsun, qui était très influent à cette époque, et qui sympathisait avec les communistes, fut l'un des mentors de Chiang Ching.



Il écrivit à ce sujet et au sujet de l'émancipation des femmes en général dans plusieurs essais, notamment un intitulé Le commérage est une chose effrayante, qui traite de l'injuste traitement imposé aux femmes dans les domaines du spectacle et des attaques de la presse misogyne 4.

En 1935, Mao et l'Armée Rouge déployaient la Longue Marche. Chiang Ching joua plusieurs rôles au cinéma, principalement pour pouvoir vivre.

Elle réalisa que cette industrie était encore totalement dominée par Hollywood, à l'exception de quelques films démocratiques. Elle écrivit aussi quelques articles dans le journal de gauche Lumière. Après qu'on eut faussement annoncé son enlèvement dans la presse (pour l'acculer au suicide), elle dénonça cette menace personnelle dans un article d'un journal de Shanghaï titré : « Ma lettre ouverte ».

En 1937, peu de temps avant le bombardement japonais de Shanghaï, Chiang Ching se dirigea vers le nord à Sian, au quartier général de la VIIIe Armée de Route du P.C.C. où elle et plusieurs autres jeunes radicaux demandèrent à joindre les bases de l'Armée Rouge à Yenan, quelques 300 milles plus loin à travers les montagnes.




3. YENAN : L'ÉTUDIANTE ET LA COMPAGNE D'ARMES DE MAO

Bien qu'elle ait joint le Parti quelques années plus tôt, tout dans son parcours indique que ce fut son séjour à Yenan qui constitua pour Chiang Ching sa véritable initiation politique et idéologique.

Elle assista à des conférences de Mao Tsé-toung et joignit l'école du Parti, tout en travaillant et étudiant à l'Académie des arts et lettres de Lu Hsun (laquelle, entre autres spécialités, formait des troupes théâtrales pour servir au front).

Jouer au théâtre ou au cinéma n'était plus sa principale activité.

Arrivant là en plein climat de guerre, elle suivit pendant six mois un entraînement militaire et entreprit d'étudier sérieusement le marxisme-léninisme.

Mao était réellement intéressé par les questions de culture et s'écartait occasionnellement de son agenda chargé pour discuter art et politique avec les nouveaux venus ; quant à Chiang Ching, elle devint une étudiante enthousiaste de Mao.

Vers la fin de 1938, elle l'épousa. Ils eurent une fille, Li Na, qu'ils élevèrent avec une autre fille de Mao, Li Min.

Sur la couronne de fleurs qu'elle offrit pour les funérailles de Mao en 1976, la signature de Chiang Ching était précédée d'un mot : « De ton étudiante et de ta camarade d'armes. »



Tout le long de leurs 38 années de mariage, elle caractérisa sa relation avec le leader chinois de cette façon et malgré les nombreuses tempêtes politiques qu'ils affrontèrent ensemble, ce fut durant la période tumultueuse qu'ils traversèrent dans les locaux partagés à Yenan et au travers des dernières années de la guerre de libération au nord-ouest de la Chine, que ces liens furent solidement forgés.

Les visiteurs étrangers soulignent l'esprit radical qui régnait en ces jours de « guerre communiste » à Yenan, quand les commandants communistes fraternisaient avec les paysans, que jeunes et vieux dansaient ensemble, que les soldats cultivaient la terre, quand la vie était relativement simple et galvanisée par le but ultime de livrer une guerre révolutionnaire populaire et quand les prémisses d'une société nouvelle commençaient à se manifester.

Comme le promettait Mao dans un slogan écrit sur les vieux murs de Yenan : « Avec une fourche sur une épaule et un fusil sur l'autre, nous obtiendrons une production autosuffisante et protégerons le Comité central du Parti ! »

Jusqu'à quel point le P.C.C. est-il intervenu dans le mariage de Mao et Chiang Ching, cela n'est pas clair.

Mais il est généralement admis que plusieurs dirigeants du Parti ne consentirent à leur union qu'à la condition expresse que l'épouse ne fût pas à même de jouer un rôle politique public, une situation qui devait étouffer à plusieurs reprises ses initiatives dans les années suivantes, après la libération et au moment de réaliser les tâches de la révolution et de la construction socialiste.

Chiang Ching joignit un groupe de camarades qui participaient à un projet de récupération de terres et d'autosuffisance communautaire.

Ce projet avait été mis en avant par Mao en 1939 pour encourager la production dans les collines de Nanniwan.

Les travaux manuels à effectuer devaient durer six mois.

Elle devint aussi pour un temps la secrétaire personnelle de Mao et assista, à ce titre, au fameux Forum de Yenan sur les arts et lettres 5.



Mao, qui tenait toujours à rédiger ses textes à la main, lui demanda de les écrire, en un temps où la maladie l'empêchait de le faire lui-même.

Bien que Chiang Ching remplit cette fonction, les autres dirigeants du Parti ne lui en témoignèrent pas plus de respect.

Elle continua d'enseigner l'art dramatique à l'Académie de Lu Hsun, malgré son combat contre la tuberculose au début des années 40.

Elle y dirigea le montage de pièces de théâtre qui furent présentées au front, devant les civils et les militaires, appelant le peuple à la résistance contre l'agression japonaise.

Chiang Kaï-chek bombarda Yenan en mars 1947, forçant les dirigeants du Parti à quitter la ville.

De mars 1947 à juin 1949, Chiang Ching servit d'instructeur politique au troisième régiment sur le front nord-ouest, où selon elle, la guerre de libération connut ses années les plus difficiles.

Il s'agit de la période qui inspira les oeuvres célèbres et innovatrices, produites pendant la Révolution culturelle : le Concerto pour Piano de la rivière Jaune, ainsi que deux opéras révolutionnaires : La lanterne rouge et Schachiapung.

Elle se souvient de l'accueil chaleureux que les masses réservaient à Mao et des larmes de joie qui inondaient leurs visages quand le couple visitait des villages le long de la route qui sinuait la Longue marche.



Elle se souvient aussi des précautions prises pour le protéger dans les foules.

Coïncidant avec la parution du Manifeste du 10 octobre de Mao en 1947 qui en appelait à toute la population pour vaincre Chiang Kaï-chek et pour unir la nation, l'une de ses tâches fut d'organiser une campagne pour rappeler les souffrances vécues par les troupes et instaurer la campagne des « Trois vérifications », ce qui voulait dire : superviser pour obtenir toute conformité avec le code de conduite de l'Armée Rouge, tel qu'énoncé dans les Trois règles de discipline et les Huit recommandations 6.

Peu de temps après, une campagne plus générale pour renforcer l'Armée avait commencé, alors que les écrits de Mao sur la Démocratie Nouvelle se répandaient à travers la Chine, comme prélude à la réforme agraire.

Chiang Ching dirigea aussi un groupe de débats comme part d'une unité mobile de propagande.

Plus tard, au moment où le nouvel État de Démocratie nouvelle s'organisait à Pékin au printemps 1949, elle vint joindre le Secrétariat du Parti.

Chiang Ching utilisait son temps entre les engagements au front, à se renseigner en profondeur sur la situation politique et sociale de la paysannerie, en vue de lancer la réforme agraire.

On fut mis au courant d'une situation particulièrement odieuse au sujet des conditions réservées aux femmes dans une des provinces du littoral, réputée pour ses situations de concubinage.

Un propriétaire terrien y était particulièrement exécré : il avait forcé ses nombreuses concubines à exécuter des tâches serviles comme le tirer à bras dans une chaise à porteurs, et assurer toute la dure besogne dans les champs. Pendant la réforme agraire, « ses » concubines le dénoncèrent devant toute la communauté, le ruinant du même coup.

En retour, les ex-esclaves reçurent chacune une partie de sa terre pour y travailler à leur compte.



4. LA RÉFORME AGRAIRE ET L'ENQUÊTE SOCIALISTE

Chiang Ching avait une habilité remarquable à perfectionner ses connaissances et ses qualités de critique révolutionnaire, de même qu'à promouvoir une conception prolétarienne des arts, aussi bien qu'à diriger les autres dans ce domaine.

Cette aptitude s'était développée grâce à ses nombreuses enquêtes et recherches dans les années 50, alors qu'elle combattait de manière opiniâtre les forces qui la voulaient absente et muette. Tout en poursuivant l'étude idéologique et le développement politique des sujets qu'elle traitait, elle perfectionnait sa capacité à travailler parmi les masses : cela lui permit de développer une connaissance sur le terrain des conditions et des situations affrontées par le paysan et l'ouvrier, qui luttaient pour chambarder la société.

Cela s'avéra d'un grand bénéfice pour elle lors de la confrontation qu'elle eut avec les artistes quelque dix ans plus tard, sur la façon de représenter les qualités révolutionnaires de ces nouveaux héros, qui remplaçaient les seigneurs et les impératrices sur les planches des théâtres en Chine, sans mentionner son habilité à adopter une position pertinente dans la lutte des classes qui faisait rage aux plus hauts niveaux du Parti.



Affaiblie par la guerre et souffrant de plusieurs problèmes de santé, Chiang Ching fut envoyée à plusieurs reprises à Moscou dans la décennie suivante pour de longs traitements, puisque la plupart des hôpitaux chinois avaient été détruits durant les années de guerre.

Il semble bien aussi que les ennemis politiques de Mao virent là un moyen de l'écarter de leur chemin ; à la fin des années 50, elle se vit même refuser la permission de rentrer à Pékin alors que les médecins moscovites ne faisaient rien pour améliorer son état de santé et qu'un cancer au cerveau menaçait sa vie.

Chiang Ching a rappelé son exaltation à la nouvelle de l'audacieuse grève de l'Armée Populaire de Libération (A.P.L.) contre le bateau de guerre britannique l'Améthyste, qui s'attardait sur les côtes en avril 1949.

Elle apprit le déclenchement de cette grève par le biais de la radio soviétique.

Peu de temps après, à l'automne de la même année, la République Populaire de Chine était fondée.

Elle retourna aussitôt à Pékin pour y préparer des plans lui permettant d'étudier des régions rurales près de Shanghaï, où l'on venait d'entreprendre la réforme agraire.

Déjà, durant la campagne du nord-ouest, elle avait acquis de l'expérience en instaurant la politique révolutionnaire de Mao dans le domaine de l'agriculture, conduisant les paysans à renverser les riches propriétaires et à redistribuer les terres.

Après qu'un voyage officiel organisé dans les régions rurales de Shanghaï fut saboté par des renégats du Parti contrôlant une vaste étendue de l'est (selon toute apparence, il reste probable que les loyalistes de Wang Ming, sans connaissance du Parti, avaient joint le Kuomintang), Chiang Ching fut forcée de se débrouiller seule pour atteindre la ville industrielle de Wusih, dans la province de Kiangsu.

Là, elle étudia les antécédents historiques de cette province, le système de location des terres et l'économie locale, avant de visiter la périphérie campagnarde.

Elle apprit de la sorte que, par exemple, les cultivateurs ne parvenaient pas à vivre de leur récolte puisqu'ils consacraient une grande partie de leurs champs à la culture du thé et à la production de la soie, en échange d'un peu de riz.

Et l'arrêt de production causée par les années de l'occupation japonaise, les empêchait encore de récolter de quoi se nourrir.

Quelques années plus tard, Chiang Ching visita ce qui avait constitué un comté « modèle » du Kuomintang où les femmes n'avaient pas le droit de cultiver la terre, bien qu'elles accomplissaient la plupart du travail, pendant que les hommes jouaient et buvaient du thé.

« Alors, je me mis à labourer », raconte-t-elle.

Les inégalités matérielles entre hommes et femmes étaient encore plus accusées à la campagne qu'à la ville.

Malgré la distribution des terres aux personnes des deux sexes sur une base égalitaire, cette loi n'était pas appliquée de manière équitable.

Les femmes avaient souvent des terres plus petites ou peu fertiles et, écrasées sous le poids de leur oppression, elles n'osaient se révolter.



En dépit du décret promulgué par le Parti Communiste au gouvernement et qui prônait le salaire égal pour un travail égal, les hommes prenaient avantage sur les femmes en leur refusant l'usage des outils de la ferme, et en leur laissant les tâches les moins bien rétribuées.

La réforme du mariage en 1950 fut surtout adoptée pour protéger les femmes, leur donner le libre choix et leur accorder le droit de divorce. Comme Chiang Ching l'a décrit, les vieilles pratiques et les idées traditionnelles sont difficiles à renverser.

Aussi, les mariages forcés continuèrent-ils dans certaines régions. Elle se rendit dans plusieurs villages durant cette période pour aider à régler des disputes de divorce et pour guider les conseillers locaux du Parti afin qu'ils apprennent à aborder ces questions épineuses.

Elle les incitait à créer une opinion publique pour persuader les contrevenants, plutôt que de prôner des solutions antagoniques au sein des masses, telle la peine capitale, par exemple, pour les causes de divorce.



C'est avec ardeur que Chiang Ching prit part à la lutte des classes, qui transformait alors toute la Chine rurale ; aussi, à l'automne 1951, avec une équipe de travail, se mit-elle en route pour superviser l'évolution de la réforme agraire dans la région de Wuhan, le long de la rivière Yangtze.

Mais alors qu'elle avait l'appui de Mao, d'autres membres puissants de l'appareil du Parti 7 n'étaient pas d'accord avec cette prise de contact avec les masses.

Ils la lui refusèrent donc, ordonnant son expulsion du train avec son escorte, avant même que le convoi n'atteigne la campagne.

Refusant d'abandonner, Chiang Ching, accompagnée de ses gardes du corps, procéda à une enquête personnelle, dans cette région particulièrement difficile qui avait été une forteresse du Kuomintang durant les longues années de la guerre populaire et qui opposait une résistance farouche à la réforme agraire 8.

La réforme agraire connut ses hauts et ses bas.

Mao avait indiqué les trois « montagnes » à vaincre : le féodalisme, le capitalisme bureaucratique et l'impérialisme - ce qui se traduisait dans la campagne, par un renversement des propriétaires terriens et de la classe des tyrans locaux qui présidaient les organisations de seigneurs de la terre.

L'équipe de Chiang Ching identifia de 8 à 20 % des pires contrevenants et, sur les prescriptions de la loi de la réforme agraire, les fit comparaître devant les tribunaux.

Elle décrivit la difficulté à contenir la colère du peuple, une fois que celle-ci se déchaînait contre ces tyrans détestés : parfois, les gardiens devaient les protéger de la population qui voulait les frapper à mort, sur-le-champ.

L'équipe de Chiang en fit traduire plusieurs devant la cour du peuple pour être condamnés, quelquefois à mort.

Après, leurs biens immobiliers et mobiliers étaient distribués selon de rigoureux critères de classe.



La tendance spontanée consistait à élargir les cibles sociales, ce qui signifiait que la classe moyenne rurale (qui, règle générale, possédait de petites terres sans trop de valeur) était parfois expropriée ou que de riches agriculteurs étaient identifiés comme des propriétaires terriens ; mais des erreurs de droite se produisaient aussi, laissant des seigneurs se tirer d'affaire.

Pour Chiang Ching, la stratification de classe variant d'une région à l'autre, les lois agraires devaient être appliquées en fonction des circonstances et du contexte.

Dans la division qui s'effectuait dans les biens et propriétés des seigneurs, les membres du Parti incitèrent les paysans à la « largeur d'esprit », et insistèrent pour que chaque foyer ne prît que ce dont il avait besoin.

Chiang Ching se rappela, en riant, une scène de ce temps-là : des seigneurs se trémoussant pour endosser le plus d'épaisseurs de vêtements possibles, afin de ne pas les donner.

Parfois, ils s'en vêtissaient à un point tel, qu'ils se trouvaient incapables de bouger !

Afin de superviser les tâches de la réforme agraire, l'équipe de Chiang Ching se mit à l'étude du marxisme-léninisme et essaya, sur l'insistance de Mao, d'appliquer la nécessité d'« être organisé ».

Après la distribution des terres, elle se consacra à ce mot d'ordre, mettant en place un nouveau gouvernement démocratique et organisant des élections pour des associations de paysans.

Au moment où Mao réunissait une série d'articles intitulé L'essor socialiste dans les campagnes chinoises, dans le but de préparer l'opinion publique à la naissance des coopératives en 1955, Chiang Ching publia elle aussi une pièce intitulée : Le peuple reçoit-il assez de nourriture de la ration céréalière ?

Elle y spécifiait le besoin des individus et opta pour le rationnement des vivres à la ville, où se manifestait une forte résistance à la réorganisation de la production céréalière.



5. OSER ALLER À CONTRE-COURANT

Chiang Ching utilisa les longues convalescences qu'elle traversa suite à de graves maladies, pour lire beaucoup et sur un éventail varié de sujets.

Elle se concentra sur le combat politique qu'elle considérait comme central « entre la classe ennemie et nous-mêmes », comme elle l'a exprimée. Elle s'absorba dans la lecture de nouveaux livres et articles, en choisissant les passages les plus importants pour les porter à l'attention de Mao, donnant sa propre opinion sur les principales questions.

Elle avait en particulier la responsabilité d'enquêter sur les problèmes internationaux.

Au cours de l'hiver 1953, alors que son époux était à son chevet, l'épouse alitée le tenait au courant des événements en lui lisant les journaux et les télégrammes 9.

En 1954, elle prit connaissance d'un article écrit par deux étudiants qui critiquaient l'approche bourgeoise d'un professeur pseudo-expert du roman historique du XVIIIe siècle, qui avait entre autre réalisé une étude sur le livre Le rêve de la chambre rouge. Elle montra cette critique des étudiants à Mao qui lui demanda de la faire imprimer par le Quotidien du peuple.

Elle se rendit vite compte qu'autant les journaux littéraires influents que le Quotidien du peuple refusaient de publier l'article parce que les auteurs ne faisaient pas partie du cercle des auteurs en vue, et ne méritaient donc pas le privilège de secouer les idées reçues.

La même réception lui fut accordée par le département de propagande du Comité central. Mao émit alors une proclamation qui saluait l'article concerné comme constituant « la première attaque sérieuse en 30 ans » contre les pseudo-experts du roman.



Chiang Ching avait déjà dérangé un guêpier en pourfendant plusieurs autres ouvrages écrits à la louange du féodalisme et de la vieille classe bourgeoise, et en portant le tout à l'attention de Mao.

Un de ces ouvrages, le film à la cour de Ching, dont le sujet était la révolte des Boxers en 1900, dépeignait la paysannerie comme ignorante et barbare, en même temps qu'elle glorifiait l'empereur Mandchou, soi-disant un modèle d'aristocratie libérale. Chiang Ching s'objecta à la projection du film et dénonça la promotion « patriotique » (orchestrée par Liu Shao-chi, entre autres) qui l'entourait.

Quand Mao vit le film, il le qualifia de trahison nationale.

À l'époque du mouvement pour la réforme agraire, elle démasqua la promotion qu'on faisait des aspirations bourgeoises dans le film L'histoire de Wu Hsun, sorti sur les écrans en 1950.

On y prêchait la libéralisation et le succès social par l'éducation, et une certaine complaisance à l'endroit des seigneurs féodaux : on y voyait « Wu Hsun », un pauvre, économiser chaque sou pour obtenir des intérêts des propriétaires terriens et des usuriers sur son petit capital ; jusqu'au jour où il fut en mesure d'acheter une propriété pour bâtir une école et donner une instruction gratuite aux enfants pauvres.

Quand Chou Yang, sous-ministre de la Culture, affirma qu'on pouvait bien, dans l'art, supporter un peu de réformisme, Chiang Ching lui claqua la porte au nez : « Alors, allez-y avec votre réformisme ! ». Bien que Mao pensa tout d'abord qu'elle perdait son temps, elle se pencha pendant huit mois dans une enquête sur la vie et la légende de Wu Hsun ; elle voulait être à mesure de lancer une critique très érudite du film, afin d'ébranler les piliers et défenseurs de l'approche bourgeoise dans les arts.



Chou Yang tenta bien dès le début d'empêcher Chiang Ching d'entreprendre son projet. Constatant son échec, il lui assigna par la suite une secrétaire, espérant saboter son travail dans la province de Shantung, où le mythe de Wu Hsun s'avérait très populaire.

Il apparaît que le seigneur de l'endroit faisait la promotion de Wu Hsun comme modèle à suivre pour les paysans.

En fouillant dans le passé du personnage, elle en apprît un peu plus sur son origine de classe.

Elle invita les gens de la localité à démystifier le fameux Wu Hsun.

Il s'avéra qu'il n'était pas seulement un seigneur avec plusieurs maîtresses, mais qu'il avait été mandaté pour combattre les révoltes de paysans, fort répandues à l'époque à l'ouest de Shantung.

Elle envoya des rapports au directeur du Quotidien du Peuple qui commença à publier le résultat de ses recherches ; mais d'autres factions qui étaient elles aussi « allées aux sources », se manifestèrent et, en 1951, la polémique sur le modèle de Wu Hsun prit l'ampleur d'un véritable débat de société.

Mao jugea bon d'écrire un éditorial pour le Quotidien du Peuple, basé sur la documentation de Chiang Ching et insistant sur le « degré de confusion idéologique distillée dans les cercles culturels de notre pays.

À en croire plusieurs auteurs, l'histoire ne s'est pas déroulée en remplaçant le désuet par le neuf, par l'insistance de chaque effort déployé pour empêcher la disparition du vétuste ; pas par la lutte des classes, visant à renverser des tyrans féodaux réactionnaires, mais par la négation de la lutte des classes des opprimés et leur soumission à ces despotes, à la manière de Wu Hsun. »

Il demanda des commentaires sur le film et des discussions sur les essais relatifs à l'histoire de Wu Hsun 10.

Bien qu'encore inconnue du public, Chiang Ching s'impliqua donc très tôt dans les débats qui animaient le milieu culturel, alors entièrement dominé par des intellectuels bourgeois.

Ceux-ci recevaient l'appui des hauts gradés révisionnistes au sein du Parti.



Alors que Chou Yang insinuait qu'elle offusquait les écrivains et les artistes, Chiang Ching, elle, avait bien d'autres préoccupations en tête : les paysans fournissaient un colossal effort révolutionnaire pour transformer l'agriculture et les relations sociales à la campagne, et pourtant, ils n'avaient pas la chance de voir un seul film ou une seule pièce par année qui les concernaient. Les sujets traités devaient-ils parler de scintillants empereurs et impératrices écrasant les révoltes paysannes, de hautains seigneurs comptant de l'argent ; ou devaient-ils plutôt mettre en lumière des nouveaux héros, c'est-à-dire les masses de travailleurs qui donnaient leur vie pour changer la société ?

Chiang Ching refusa de taire la controverse et, forte de l'analyse de Mao - qui sortait des sentiers battus - sur l'art et la politique, elle contribua dans les années 40 à rompre la paix ambiante dans certaines sphères sacrées qui n'avaient presque jamais été remises en question et demeuraient peu influencées par la révolution.

Elle utilisa cette controverse pour mettre à jour la pensée sclérosée de certains auteurs et artistes s'accrochant aux normes du passé. Avec Mao, elle encouragea de talentueux inconnus à contester les autorités formelles et à susciter des moyens de promouvoir l'idéologie prolétarienne et les héros révolutionnaires.

Ces roulements de tonnerre dans le monde de la culture, qui ont précédé d'une décennie les tempêtes printanières de la Révolution Culturelle, furent encouragés par la campagne « Que cent fleurs s'épanouissent, que cent écoles rivalisent » initiée par Mao en 1957.

Cette initiative visait une sérieuse remise en question de la superstructure idéologique de la société.

Mao insista : « Il est hors de tout doute que nous devons soumettre à la critique toute espèce d'idées erronées ; toute erreur est à critiquer, toute herbe vénéneuse est à combattre. (...)

À coup sûr, ces deux classes (la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie) s'obstineront à s'affirmer par tous les moyens, dans les questions politiques et idéologiques.

Il est impossible qu'il en soit autrement.

Nous ne devons pas recourir à des méthodes de répression pour les empêcher de s'exprimer ; nous devons le leur permettre, et en même temps engager un débat avec elles et critiquer leurs idées de façon appropriée 11. »



6. À L'ATTAQUE DE LA SUPERSTRUCTURE RÉACTIONNAIRE ET DE SES DÉFENSEURS

À la fin des années 50, le combat politique à l'intérieur du Comité central du Parti Communiste Chinois s'accentua de façon dramatique.

Les deux voies devenaient de plus en plus claires : aller de l'avant avec la transformation socialiste de l'économie et de la superstructure de la société ; ou arrêter et se reposer, comme les vétérans du Parti le souhaitaient, bloquer le processus dans sa phase démocratique bourgeoise et développer le capitalisme.

L'appel de Khrouchtchev au « goulasch » plutôt qu'au communisme, renforçait encore le danger de restauration capitaliste en Chine.

Alors que se tenaient les réunions houleuses du Bureau politique à Luschan en 1959, Mao écrivit à Chiang Ching, lui faisant parvenir une réplique adressée au ministre de la Défense, Peng Teh-huai, qui s'opposait à une transition rapide au socialisme.

Ping était sur le point d'être renversé, après s'être fait le représentant de la ligne qui militait au sein du Comité central pour la formation d'une armée moderne, comme celle de l'Union soviétique, par opposition à la création d'une milice populaire.

Au nom de la promotion de l'industrie lourde et d'une orientation pro-militaire, la ligne qu'il défendait s'opposait à la transformation de l'agriculture sous forme de coopérative, comme le proposait la campagne du « Grand Bond en avant » 12.

Bien que Mao tenta de l'arrêter, l'avertissant que la lutte très intense qui s'y menait pourrait affecter sa fragile santé, Chiang Ching insista pour l'accompagner aux rencontres, dans le but de comprendre parfaitement la situation.

Au début des années 60, la lutte se concentra sur le moyen de faire le bilan du « Grand Bond en avant », et le développement communiste en général.

Liu Shao-chi, adversaire de Mao, et représentant en titre des tenants de la voie capitaliste dans l'appareil dirigeant, découvrit davantage son jeu : il exigea des sommes d'argent plus rondelettes pour inciter à la production agricole, prônant l'agrandissement des terres privées, le développement des foires rurales (capitalistes), et ainsi de suite.

Non sans quelque coïncidence, Liu commença à faire des visites au sanctuaire de Confucius. Même si Mao et le camp prolétarien étaient en plein contrôle du Parti, les forces bourgeoises, de plus en plus concentrées dans les organes de direction, affirmaient leur puissance et cherchaient à influencer l'opinion pour s'emparer du pouvoir.

Ces adeptes révisionnistes contrôlaient les secteurs de l'éducation et des arts, domaines clés pour promouvoir leur idéologie et influencer les masses.

La gauche prépara une contre-attaque et commença à créer son propre mouvement pour informer l'opinion publique, dans une offensive majeure contre la bourgeoisie sapant le Parti.



Chiang Ching s'engagea alors dans l'arène politique aux côtés de Mao.

Elle commença à publier des articles signés dans des journaux pour les femmes ou les jeunes.

Elles repris son travail de masse en 1963 comme membre du Mouvement d'Éducation Socialiste, initiative de Mao pour contrecarrer la réaction, les pratiques et l'idéologie bourgeoise.

Ce combat fut le précurseur de la Révolution Culturelle.

Mao demanda aux cadres, aux artistes et aux auteurs des villes de se rendre dans les campagnes pour y apprendre des masses.

À la Xe plénière de la VIIIe rencontre du Comité central en 1962, on arrêta une décision, après beaucoup d'opposition, qui permettrait à Chiang Ching de contrer la mainmise révisionniste sur le Comité municipal de Pékin, présidé par le maire de cette ville et membre du Bureau politique, Ping Chen (de qui relevait la conception d'une politique nationale de la culture).

Les membres de ce comité contrôlaient la majeure partie de la presse chinoise, de même que le milieu théâtral et littéraire en Chine.

Leur école de pensée, très influente dans les milieux intellectuels, était complètement opposée à celle de Mao, qui prônait une profonde révolutionnarisation de la société.

Les révisionnistes quant à eux, s'attachaient à conserver leur monopole idéologique sur la culture.

C'est parmi eux que les nouveaux auteurs bourgeois comme Wu Han trouvèrent refuge.



Ce dramaturge était l'auteur de la pièce Hai Jui expulsé de son poste, publiée en 1961, qui se voulait une protestation contre la décision de Mao de destituer Peng Teh-huai, ministre de la Défense jusqu'en 1959, symbolisée par une analogie plutôt mince avec l'époque de la dynastie Ming.

Les membres du Comité de Pékin étaient également les commanditaires de la rubrique de journal Trois familles villageoises, qui attaquait sur un ton satirique la ligne de pensée de Mao 13.

En revanche, si les révolutionnaires avaient le malheur de critiquer les écrits ou les productions théâtrales commanditées par cette nouvelle bourgeoisie (travaillant activement à imprégner la vie intellectuelle et culturelle en général avec son parti-pris pour le maintien des classes sociales), leurs remarques se voyaient aussitôt discréditées par des autocritiques risibles ou par des contre-articles insistant sur des points secondaires.

Ce dilemme fut aggravé par le fait que la gauche ne pouvait faire publier ses textes et dût s'appuyer en partie sur l'Armée, alors sous le commandement de Lin Piao.

Un peu plus tard au début de 1966, Mao ne put résister à qualifier le ministère central de la Propagande de « palais de prince de l'enfer » : « Il doit être renversé ! Les despotes ont intérêt à tenir le peuple dans l'ignorance.

Alors qu'il est de notre devoir de lui ouvrir les yeux 14. »

Chiang Ching tenta en vain de faire paraître des critiques de Hai Jui expulsé de son poste à Pékin, mais la clique locale, dans un accès de colère, les bloqua partout.

En dernier recours, travaillant en toute quiétude sous la direction de Chiang Ching et de Mao, le jeune auteur Yao Wen-yuan, qui s'était distingué lors du mouvement anti-réactionnaire qui avait suivi la campagne des Cent fleurs, écrivit une critique acerbe de cette pièce. Mais ce ne fut qu'à Shanghaï qu'elle put être publiée en premier et pas avant novembre 1965, alors que Mao la proclama comme étant le signal pour le début de la Révolution Culturelle.

La clique des auteurs de Pékin tenta bien d'amenuiser la controverse qui s'ensuivit, en argumentant sur des nuances académiques de l'histoire, allant même jusqu'à se distancer de l'auteur (et pro-maire de Pékin) Wu Han dans le but de conserver ses positions.



7. RÉVOLUTION À L'OPÉRA DE PÉKIN

Le domaine des arts était largement contrôlé par un groupe de hauts dirigeants du Parti soi-disant experts en la matière.

Au théâtre ou sur la musique, ils défendaient avec arrogance une orientation féodale et bourgeoise.

Toutefois, c'est à l'opéra que le pire de cette tendance s'exprimait. Cette domination sur des secteurs importants de la superstructure par une élite néo-bourgeoisie reliée aux révisionnistes des niveaux supérieurs du Parti, était le reflet de la transformation incomplète de la base économique de la société.

Celle-ci, bien qu'avant tout socialiste, conservait encore d'importantes niches capitalistes.

La vérité profonde que Mao a contribué à enrichir - celle de la nécessité pour faire la révolution de pénétrer la superstructure dans les sphères des idées, des valeurs, des coutumes et de la culture - renvoyait face à face les deux classes, le prolétariat et la nouvelle bourgeoisie, engagées dans une lutte à finir.

Après dix ans de politique prolétarienne, des pas de géants furent accomplis dans la transformation de la Chine semi-féodale, semi-colonisée, retardée ; la propriété privée avait subi une transformation fondamentale avec la collectivisation et la nationalisation de l'industrie ; comme la Chine s'était affranchie des fers de la domination étrangère, l'économie se basait dorénavant sur les besoins des masses, et non sur les diktats des impérialistes qui ne cherchaient qu'à remplir leurs coffres.

Le cercle vicieux de la pauvreté et des dettes avait été rompu, alors que la famine et l'analphabétisme avaient en grande partie été éliminés.

Les femmes commencèrent à fréquenter l'école en plus grand nombre et à prendre une part active dans la production et dans la vie politique.

Mais au même moment, les changements dans plusieurs secteurs furent partiellement ou entièrement bloqués par la ligne de pensée révisionniste et le poids de l'oppression du passé.

Cette réalité était d'autant plus visible quand on examinait de près les « trois grandes différences » : entre la ville et la campagne, entre les ouvriers et les paysans et entre le travail intellectuel et manuel.



En 1964, Mao qualifia le Département de Santé publique de « Ministère de la santé des messieurs urbains ».

Dans des manufactures, la direction révisionniste ordonnait aux employés de limiter les discussions politiques à trente minutes par jour, afin de ne pas retarder la production.

Et, comme l'un des aspects de la pénétrante analyse de Chang Chuen-chiao sur la droite bourgeoise le révéla, dans la campagne, la propriété était collective mais n'appartenaient pas encore à tout le peuple. Cette situation facilita les tendances capitalistes 15.

En outre, la qualité du sol variant considérablement entre les communes, il en résultait des avantages appréciables pour certains.

Cette contradiction entre le socialisme et les vestiges d'un semi-féodalisme s'ajoutant à un néocapitalisme, se voyait par ailleurs clairement illustrée dans le difficile combat pour la libération de la femme chinoise.

Bien qu'occupant maintenant des fonctions dans la production et aux niveaux subalternes du parti, les femmes devaient affronter les lourds préjugés féodaux et les rôles traditionnels que ceux-ci leur imposaient.

On ne pouvait commencer à ébranler ces chaînes idéologiques qu'en portant le combat dans la superstructure pour atteindre en retour à une transformation socialiste plus complète de la base économique.



La lutte qui se déchaîna sur le front de la culture s'avéra une illustration de cette situation. La ligne bourgeoise réduisait le conflit à un simple accrochage entre l'art « vu trop étroitement selon son degré de réforme socialiste » et l'art qui pour les tenants bourgeois ne pouvait s'exprimer que par le « génie » de la création.

En réalité, la lutte concentrait le problème fondamental : savoir si, oui ou non, le prolétariat pouvait s'emparer de cette sphère et révolutionner la superstructure.

Le royaume culturel allait-il miner la base socialiste, ou la servir ?

La gauche ne préparait pas seulement une offensive contre les idées bourgeoises, mais aussi et surtout, contre les idées, croyances et oeuvres culturelles qui maintenaient des divisions désuètes et oppressives dans la société.

Le vieil opéra de Pékin s'affichait lui-même comme une forteresse idéologique pour les classes de propriétaires terriens et de capitalistes.

Son répertoire se composait en grande partie d'oeuvres vantant les vertus confucéennes d'obéissance et de loyauté.

Comme on devait en conclure dix ans plus tard, « le choix de l'Opéra de Pékin pour faire une brèche initiale dans la culture s'avéra une juste initiative de la révolution prolétarienne pour critiquer les doctrines de Confucius et Mencius ; cela contribua au démantèlement des dogmes spirituels sur lesquels les classes réactionnaires s'étaient basées pendant des siècles, pour créer un enfer sur terre 16. »

Chiang Ching se livra à de nombreuses enquêtes, visitant plusieurs troupes de théâtre, s'entretenant avec des comédiens, assistant à des projections, fréquentant les coulisses, regardant des opéras à travers tout le pays.



Ce qu'elle y constata n'était pas l'innovation socialiste mettant en lumière l'opiniâtreté et l'héroïsme des masses, mais plutôt un mélange débile de néo-révisionnisme avec des oeuvres tièdes et opprimantes, défendant les privilèges et les différences de classe, mettant en vedette des caractères superstitieux et traditionnels, ou de serviles imitations de pièces étrangères écrites par les dramaturges bourgeois.

En dépit du fait qu'au cours de l'ère Chou Yang, de nouveaux théâtres furent ouverts, les vieux modèles persistèrent. Les compagnies locales d'opéra avec leur programmation aux préjugés vieillots et au pseudo-charme féodal continuaient à exister, malgré un auditoire très réduit.

Un art néo-révisionniste vit également le jour, combinant la tradition au « nouveau théâtre ».

Il mariait éclectiquement les ingrédients avec l'effet de maquiller sous un voile de respectabilité les héros négatifs et diaboliques (l'une des spécialités de l'Opéra de Pékin), les styles désuets, les mélodies. Il empêchaît du même coup l'émergence de thèmes révolutionnaires distincts ainsi que de héros du peuple avec de nouvelles formes artistiques.

Par exemple, des pièces à l'affiche pendant la réforme agraire du « Grand bond en avant », mettaient en scène des impératrices féodales manifestant brusquement de la compassion pour les masses paysannes qu'elles dominaient ; la guerre de libération servait paradoxalement de levier à la promotion de thèmes d'amour sous la bannière du « réalisme et du naturalisme », le peuple étant quant à lui dépeint fatigué et minable, touches peu propices donc à des images d'héroïsme.

Les constatations de Chiang Ching incitèrent en partie Mao à dénoncer, sur un ton coloré, le ministère de la Culture, le qualifiant de « Ministère d'empereur et de princes, de généraux, de momies savantes et de beautés étrangères ; s'ils ne changent pas, nous changerons leur nom 17. »

Chiang Ching entrepris de transformer l'Opéra de Pékin : l'enquête commença en 1961 ; le « nous passâmes à l'action » en 1963. Le maire de Shanghaï, Ko Ching-shih, fut l'un des rares supporters de la démarche de Chiang Ching visant à remplacer les démons et les monstres féodaux sur les planches par des drames révolutionnaires mettant en scène des masses d'ouvriers, de paysans et de soldats.

On demanda aux créateurs de rendre visible la lutte des classes sur les tréteaux en y développant un nouveau répertoire socialiste. En étudiant l'oeuvre de Mao Interventions aux causeries de Yenan sur la littérature et l'art, un petit nombre de pionniers, sous la direction de Chiang Ching, façonnèrent les outils qui servirent à remettre en question et à démasquer les ouvrages désuets, aussi bien qu'à lutter vigoureusement avec les artistes et les auteurs pour débroussailler les textes, voire en écrire de nouveaux.



En l'espace de quelques années à peine, environ 37 nouveaux textes, mises à jours de pièces et d'opéras furent produits, les premiers ouvrages modèles y compris. Pour créer de bonnes pièces modernes, Chiang Ching avait appliqué la combinaison « Trois dans un », dans le domaine des arts, en envoyant les cadres du Parti et les dramaturges vivre parmi les paysans, les soldats et les ouvriers, pour une meilleure compréhension de l'expérience qu'ils devraient illustrer par leurs oeuvres.

Les masses révolutionnaires, elles, étudiaient et critiquaient les productions, en vue de les améliorer.

Par exemple, Chiang Ching assista à une représentation d'un opéra folklorique de Huai Chu en 1963, et proposa son adaptation pour l'Opéra de Pékin.

Sur les quais devint l'une des premières pièces de l'avènement socialiste.

Cet opéra avait été initialement composé avec l'aide de débardeurs de Shanghaï, qui s'étaient montrés très enthousiastes : « Auparavant, nous n'étions que des hommes de peine ; nous n'avions pas le droit de faire partie de l'assistance. »

Mais le théâtre de l'Opéra de Pékin s'avérait la forteresse la ligne révisionniste dans les arts, et ses scribes attitrés entreprirent aussitôt des modifications au manuscrit, tentant de diluer son internationalisme et de hisser les personnages secondaires au rang de rôles principaux. Les débardeurs s'en montrèrent indignés : « Notre histoire et celles de nos familles en est une de souffrance amère... Quand il s'agit de la cause révolutionnaire menée par le Parti, nous, les ouvriers vétérans, sommes plus que jamais vivants, prêts et décidés.

Votre opéra nous montre stupides et paresseux. Jamais pareil opéra ne récoltera nos suffrages ! 18 »



En mars 1965, Chiang Ching réorganisa le scénario et la distribution des rôles, recréant l'histoire des débardeurs de l'avant-garde de Shanghaï, qui luttent pour charger un navire de blé afin de venir en aide aux luttes de libération nationale en Asie, en Afrique et en Amérique latine.

Ils doivent affronter le sabotage d'un travailleur arriéré, qui reçoit l'appui des révisionnistes du Parti.

Les vrais révisionnistes contre-attaquèrent de nouveau, qualifiant cette version de pauvreté théâtrale, et protestant contre le rôle important joué par une femme leader du Parti (qui amène les débardeurs à démasquer le complot et à faire lever l'ancre à temps au vaisseau) qu'ils qualifient d'« irréaliste ».

Ils tentèrent d'arrêter les représentations.

Une lutte opiniâtre s'ensuivit.

Chiang Ching fit appel à l'internationalisme pour motiver la troupe : « Les peuples opprimés à travers le monde languissent d'assister à nos opéras construits sur des thèmes révolutionnaires contemporains.

Nous devrions avoir les plus hautes aspirations et être déterminés à servir les besoins du peuple chinois aussi bien que ceux des peuples opprimés dans le monde entier. 19 »

Deux années plus tard, après que les feux de la Révolution Culturelle eussent accentué le combat entre les deux tendances dans l'arène politique, l'opéra fut achevé et présenté au gala du 25e anniversaire du Forum de Yenan.

Chiang Ching participait de plain-pied à la lutte de ligne par sa critique du contenu et de l'orientation des oeuvres culturelles, soulevant le besoin des artistes de façonner leur conscience, aussi bien que de se pénétrer de la vie réelle des masses.

Si la lutte de ligne s'avérait cruciale dans son travail, Chiang Ching accordait également une attention méticuleuse à la forme artistique de même qu'à l'unité - tellement importante - entre le contenu politique révolutionnaire et l'expression artistique de la performance.

Elle se rendit en personne dans les théâtres pour y encourager les visions novatrices, mais aussi pour débattre avec les artistes des changements à apporter, aussi bien dans leur interprétation, leurs gestes, que sur les éclairages, les costumes, la musique, les chorégraphies, le chant, dans le but d'afficher un nouveau reflet de classe.

Fini les tons plaintifs et les lamentations qui caractérisaient les opéras désuets. Quant les femmes pleuraient, elles le faisaient maintenant debout, transformant leur chagrin en colère.

Elles se mirent aussi à rire avec joie et détermination au lieu de couvrir leur bouche quand elles souriaient auparavant.

Le poing militant remplaça le délicat « doigt orchidée », geste de la Chine aristocratique.

Un résumé fouillé des conclusions des recherches de Chiang Ching fut étalé dans son Discours au Festival de l'Opéra de Pékin, tenu à l'été 1964, qui rassembla 5.000 représentants(tes) des compagnies d'opéra des provinces, et des villes, sous la surveillance hostile de la hiérarchie culturelle révisionniste.

Les nouveaux opéras créés au milieu des conflits acerbes dans le royaume de la culture y virent le jour.

On présenta entre autres les oeuvres Attaques contre le régiment du Tigre blanc, évoquant la Guerre de Corée, et Shachiapang qui souligne l'union étroite entre l'armée et les paysans pendant la guerre de guérilla contre le Japon (aussi adapté en symphonie).

On échangea beaucoup sur la lutte de ligne contre les révisionnistes qui s'opposaient farouchement à ce processus de transformation.

De nouvelles expériences de la société socialiste voyaient le jour.



Lors de cette première apparition publique, Chiang Ching demanda à l'assemblée du monde des arts : « Qui devons-nous servir ? Une poignée d'individus (les propriétaires terriens, paysans cossus, contre-révolutionnaires, mauvais éléments, agitateurs de droite, et adeptes bourgeois) ou 600 millions (ouvriers, paysans, soldats) ?

La céréale que nous mangeons provient du travail des paysans, nos vêtements et habitations sont l'oeuvre des ouvriers, et l'Armée de Libération Populaire assure notre défense aux avant-postes. Et nous ne les évoquons même pas sur les planches.

Puis-je vous demander pour quelle classe vous prenez parti ? Et où est cette « conscience » de l'artiste dont vous ne cessez de parler ? »



Créer des personnages de héros révolutionnaires, telle devait être selon Chiang Ching, la tâche prioritaire.

Il fallait encourager les créateurs et les dirigeants à produire « des opéras reflétant réellement le point de vue du matérialisme historique et pouvant placer le passé au service du présent. »

Elle insista sur l'importance de produire de nouvelles pièces autant par la création que par l'adaptation des auteurs 20.

En coulisses, les ennemis politiques de Chiang Ching (partant, ceux de Mao), établirent un plan pour faire face à cette vague montante qu'ils pouvaient difficilement défier à visage découvert.

Par exemple, ils dûrent se plier à la tenue du Festival, mais en même temps, ils tentèrent d'y saboter la préparation des opéras prévus.

Ils osèrent même altérer le texte de l'allocution de Chiang Ching avant sa publication. La version originale ne parut que trois ans plus tard, en mai 1967, alors que pour la première fois le rôle prépondérant joué par Chiang Ching dans la transformation de l'Opéra de Pékin fut largement reconnu.



Peu après, en 1965, Chiang Ching confronta directement Peng Chen, le maire de Pékin, sur la nécessité d'aider la prolétarisation dans les arts, et donna en exemple le travail déjà entrepris avec des oeuvres comme le ballet La jeune fille aux cheveux blancs, à Shanghaï.

En conséquence, ne pourrait-il pas l'autoriser à travailler dans le même sens à l'Opéra de Pékin pour entreprendre là semblable réforme?

Elle y essuya un refus hautain, le maire lui arrachant littéralement des mains le manuscrit qu'elle voulait lui montrer.

Préoccupé davantage par la poursuite de la gloriole et de l'argent, Deng Xiao-ping montrait une attitude encore plus philistinne envers la réforme de l'opéra.

Il avouait : « je voterais oui des deux mains, pourvu que je ne fus pas obligé d'y assister ! » Son copain révisionniste Tao Chu 21, proclamait qu'il préférait jouer au mah-jong avec Deng, plutôt que de se voir forcé d'applaudir des opéras révolutionnaires 22 !

À mesure que la situation se corsait au début de la Révolution Culturelle, ces chefs révisionnistes firent mine d'effectuer une rectification pour tenter de sauver leur position d'autorité.

Mais ils commencèrent à trébucher dès les premières prises de pouvoir durant la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne.

Démasquer les fourbes et dévoiler leur penchant pour le vieil ordre ne représentait qu'une partie des tâches à accomplir.

Pour donner les leviers du pouvoir aux forces fraîches et neuves qui aspiraient à remplacer le vieil ordre, les masses devaient avoir les moyens de participer pleinement à la création d'oeuvres révolutionnaires qui seraient un véritable reflet de leurs intérêts de classe prolétariens : cette lutte était reliée totalement à celle qui se menait dans chaque secteur de la société pour renforcer la dictature du prolétariat.

Ces escarmouches entre deux tendances dans la vie des arts n'étaient pas sans annoncer d'autres tempêtes à l'horizon, alors que la culture et l'appareil du Parti en général deviendraient une arène importante pour la lutte des classes, dans la bataille de la Révolution culturelle qui durera 10 ans.



8. DIRIGEANTE DE LA GRANDE RÉVOLUTION CULTURELLE PROLÉTARIENNE

Bien que la mordante contre-offensive de la gauche s'incarna d'abord dans le domaine des arts au sujet de la pièce Le congédiement de Hai Jui, l'objectif au coeur de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne demeurait le pouvoir politique en lui-même.

La Chine poursuivrait-elle son cheminement socialiste et son peuple serait-il en mesure de transformer la société de bas en haut, et ainsi atteindre l'objectif d'abolition des classes et des différences de classes ; la question cruciale se résumait à qui remporterait la lutte pour la prise du pouvoir : les communistes révolutionnaires dans le Parti, conduisant le prolétariat à exercer sa dictature dans chaque secteur de la société, ou la nouvelle bourgeoisie - les bureaucrates incrustés et les leaders conservateurs dans le Parti qui avaient cessé de faire la révolution bien avant et qui maintenant s'opposaient carrément à l'avancement de la révolution socialiste, travaillant avec âpreté à replacer la Chine dans la voie du capitalisme.

Voyant avec clarté l'enjeu de la joute, Mao n'épargna rien pour diriger le combat visant à consolider le pouvoir politique du prolétariat en empruntant la seule forme possible - en appeler aux masses et les persuader de renverser le révisionnisme à de hauts échelons du Parti comme à ceux d'en bas, dans une tactique complète.

Ayant besoin d'un quartier général révolutionnaire pour organiser et diriger cette révolution dans la révolution, il créa le Groupe de la Révolution Culturelle, avec Chen Po-ta à sa tête, et fit sortir Chiang Ching de l'ombre, pour en faire la co-dirigeante en compagnie de Chang Chuen-chiao, leader révolutionnaire du Parti de Shanghaï.

Chiang Ching assuma courageusement les défis et responsabilités qu'on lui confiait à l'heure de la montée d'une féroce lutte de ligne ; elle ne frappa pas seulement avec des attaques déterminées contre le courant révisionniste puissant et prompt, mais elle sut saisir l'occasion pour jouer un rôle primordial dans la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, dans cette tumultueuse insurrection qui ne jouissait d'aucun modèle antécédent dans le monde.

Sans l'ombre d'un doute, ceci s'imposera comme sa plus grande contribution.

Et cela constitue son péché le moins pardonnable aux yeux des traîtres : aider les masses à renforcer leur contrôle sur le pouvoir politique et son association intime avec le bouleversement de la Révolution Culturelle, prise de position qui lui attira la haine et le dénigrement de la bourgeoisie mondiale.



Une des premières tâches qui lui fut assignée comme membre du Comité chargé de l'élaboration de documents pour la Révolution Culturelle, fut d'écrire une circulaire pour contrer la ligne révisionniste de Peng Chen dans son Rapport de février sur la culture socialiste, cherchant à faire dérailler et à désamorcer la Révolution Culturelle.

La profondeur de la lutte de ligne au sein des hauts dirigeants s'est fait connaître de tout le Parti avec la parution de la Circulaire du 16 mai (révisée à maintes reprises par Mao selon Chiang Ching), nommant « tous ceux comme Khrouchtchev qui se nichent auprès de nous ».

Bientôt, avec l'apparition des dazibao (affiches à grands caractères) sur les murs de l'université de Pékin au mois de mai 1966, laquelle était appuyée de tout coeur par Mao, les écluses de la Révolution Culturelle étaient largement ouvertes.

Chiang Ching a été rapidement impliquée dans le feu de la discussion. En juillet 1996, elle se rendait régulièrement à l'université de Pékin et dans d'autres institutions scolaires pour parler aux étudiants et entendre les débats qui s'y menaient.

Elle a aussitôt découvert le rôle contre-révolutionnaire des équipes de travail qui étouffaient la rébellion étudiante.

À la fin du mois, le Groupe de la Révolution Culturelle décidait de dissoudre ces équipes de travail qui avaient été envoyées par Liou Shao-chi et Deng Xiao-ping pour semer la confusion quant à la ligne centrale du Parti sur la question du soulèvement.

L'usurpation partielle du pouvoir par les révisionnistes à Pékin, qui dura deux mois (durant l'absence de Mao), où, à travers l'encerclement et la terreur blanche, on s'efforçait de détourner les masses de la lutte et de rétablir l'ordre, aura été de courte durée.

Ces dirigeants « qui gonflent l'arrogance de la bourgeoisie et atténuent la morale du prolétariat » ont été la cible de Mao dans son fameux dazibao du mois d'août 66, Feu sur le quartier général, encouragent ainsi les flammes de la révolte à se propager largement, et visant spécifiquement tous ceux qui, parmi la haute direction - là où la lutte des classes était concentrée -, prenaient la voie capitaliste.

Une des choses dont on se souviendra toujours au sujet de Chiang Ching, c'est qu'elle fut, tout comme Mao, très fortement associée à la jeunesse.



Dans la position qu'elle occupait au sein du Groupe de la Révolution Culturelle (dans lequel le Comité central lui a déléguée le pouvoir politique de dirigeante), elle a toutefois su jouer un rôle différent de celui de Mao, allant sur les lieux et parfois entrant directement dans la bagarre avec impudence et énergie, en appui à la rébellion des jeunes.

Elle apportait les salutations du président qui les encourageait grandement, au plus fort de la lutte de lignes.

Parmi les programmes rivaux et souvent complexes, elle les a aidés à distinguer les fils de la lutte des classes dans la société, reliés à la lutte au sein même du Parti.

Avec d'autres membres du Groupe de la Révolution Culturelle, elle a rencontré des délégations d'étudiants, de travailleurs, de soldats, de paysans, d'enseignants, et d'artistes, pour démêler des questions brûlantes survenant au cours de la Révolution Culturelle, à savoir les méthodes à utiliser, qui cibler, comment affronter les divisions et le fractionnisme, comment, en un mot, « démarquer vivement entre l'ennemi et nous-mêmes », comme elle disait fréquemment, mais en même temps unifier les masses et former des alliances pour faire avancer la révolution.

Pour prendre l'exemple du cas des jeunes et des étudiants, l'appel à critiquer sévèrement toute personne issue de famille privilégiée ou conservatrice, appel pouvant sembler à gauche mais en réalité essentiellement droitier, a causé beaucoup de confusion, au tout début du mouvement.

Chiang Ching a convaincu les jeunes de changer leur slogan « un héros engendre un héros, le fils d'un réactionnaire est un oeufs pourri », en « si les parents sont révolutionnaires, leurs enfants devraient suivre le même chemin ; si les parents sont réactionnaires, leurs enfants devraient se rebeller. »

Au mois d'août et septembre 1966, les Gardes Rouges faisaient leur entrée dans Pékin, présageant de la participation des travailleurs et des paysans au mouvement et signalant que cette Révolution Culturelle ébranlait de toute part la société.

Chiang Ching commença à parler en public, insistant spécialement auprès des ralliements massifs de jeunes, pour qu'ils prennent part à ce moment historique.

Devenant rapidement célèbre par sa casquette et son uniforme militaire, elle apparaît à sept des huit réceptions organisées par les Gardes Rouges de Mao.

Elle a aussi prononcé un discours devant des enseignants d'université et ceux de l'école primaire, devant des artistes et des cinéastes, ainsi que devant les 100.000 soldats de l'Armée Populaire de Libération, qui étaient venus appuyer et encadrer les millions de jeunes qui se rassemblèrent à Pékin au cours des deux mois qui suivirent, plusieurs étant même venus à pied.

Tout l'automne, elle s'est porté garante de plusieurs performances d'opéras modèles pour les Gardes Rouges, et à la fin de novembre, elle a prononcé un discours important devant 20.000 travailleurs du domaine littéraire et des arts sur la Révolution Culturelle et la dure lutte de classe à l'intérieur même de l'Opéra de Pékin, ainsi qu'à l'intérieur d'autres fronts artistiques.

S'adressant aux Gardes Rouges, Chiang Ching les appelait à déloger les tenants de la voie capitaliste dans le Parti et à éliminer la réaction dans les quatre sphères que sont l'idéologie, la culture, les coutumes et habitudes.

Elle les exhorte à continuer le processus de lutte-critique-transformation tel que le préconisait le Document en 16 points 23 du quartier général révolutionnaire, qui constitue le principal document sur la Révolution Culturelle. « Je suis certaine que vous ferez un bon travail », leur a-t-elle dit.

Pour les révolutionnaires, la tâche consistait non seulement à accentuer la lutte contre la droite, et se diriger vers la victoire, mais dans le processus, travailler à renforcer la gauche et à rallier du nouveau sang révolutionnaire ainsi que de nouveaux dirigeants dans leurs rangs.

« Je vous demande : si la gauche ne s'unit pas et n'augmente pas ses forces, pourra-t-elle les anéantir ?

« Non ! », fut la réponse foudroyante lancée par les jeunes Gardes Rouges.



Au mois de janvier 1967, lorsque les délégations de travailleurs et de paysans se joignirent à celles des étudiants et des jeunes qui convergeaient vers la capitale, échangeant sur leur expérience révolutionnaire, Chiang Ching s'adressa aux dirigeants des jeunes Gardes Rouges qui avaient comme tâche de contrôler la foule, lors de son départ. Une tâche qui s'avéra compliquée puisque cela demandait à la fois un haut degré de conscience politique de la part des jeunes, pour contenir leur enthousiasme politique et, avec tous ceux qui véritablement étaient venus dans la capitale en quête d'une révolution, débattre pour les convaincre d'aller répandre la révolution dans les régions rurales.

Le nombre massif de gens devenait même un fardeau au niveau des ressources de la ville.

Cette situation se devait d'être contrôlée correctement.

(Il faut noter qu'en plus de ce fardeau, s'ajoutait l'attitude de certaines autorités locales en régions qui, aux rebelles qui leur tapaient sur les nerfs, avaient facilité le voyage à Pékin, avec des majorations salariales, et des billet de trains gratuits pour qu'ils aillent faire connaître leurs revendications « ailleurs ».)

« Si les gens de l'extérieur viennent à Pékin avec le désir de prendre le pouvoir, nous devons les mobiliser afin qu'ils retournent chez eux, avec ce même désir de prise de pouvoir », expliqua Chiang Ching aux Gardes Rouges.

Lors d'une rencontre du Groupe de la Révolution Culturelle à la fin décembre 1966, les porte-parole d'un groupe rebelle de travailleurs dénoncèrent le système de travail contractuel.

Ils expliquèrent que ce système semait la division parmi les travailleurs et les encourageait dans la voie révisionniste, en préparant le terrain pour faire renaître le capitalisme et étouffer le militantisme.

Ce système, selon les représentants ouvriers, avait été instauré après que Liu Shao-chi eut publié un rapport suite à son inspection dans diverses régions de la province de Hopeï en 1964.

Ils décrivirent également les efforts de la part des révisionnistes pour instaurer le travail contractuel, afin de briser la volonté de résistance chez les travailleurs réguliers.

Chiang Ching les a prévenus de ne pas tomber dans le piège des révisionnistes : « Ce que vous voulez est clair : vous voulez la révolution ! »

Elle exigea du ministère du Travail et du secrétaire de la Fédération des syndicats de rencontrer sur le champ les travailleurs en colère.

Quand ceux-ci demandèrent à ceux-là à quoi ils passaient leur journée, les révisionnistes répondirent : « Notre responsabilité est d'éduquer et d'organiser les travailleurs. »

Chiang Ching devint furieuse et répliqua : « Vous ne travaillez pas pour eux, vous ne faîtes aucun rapport au Comité central, pas plus d'ailleurs que vous ne réglez les problèmes. N'avez-vous donc aucune qualité d'un communiste ? Les travailleurs contractuels sont aussi des prolétaires et des révolutionnaires.

Et vous, les gros bonnets ministériels, comment avez-vous traité les travailleurs ? Si cela devait continuer de la sorte, quel futur s'annoncerait pour les travailleurs ? »

Les travailleurs rebelles ont par la suite occupé les quartiers généraux des syndicats et ont fermé les bureaux du ministère du Travail et des responsables de la répartition de la main-d'oeuvre à travers le pays.

Chiang Ching proposa une grande assemblée d'accusations-critique-répudiation, et l'élaboration d'une circulaire du Groupe de la Révolution Culturelle déclarant que tous les ouvriers contractuels et temporaires devaient avoir le droit de participer à la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne et que ceux qui seront congédiés pour y avoir participé devront être réinsérés avec compensation.



9. LA CONQUÊTE DU POUVOIR

Suivant en cela l'exemple de la « Tempête de janvier » à Shanghaï en 1967, un mouvement faisait rage à travers tout le pays pour arracher le pouvoir politique local aux tenants de la voie du capitalisme, afin d'organiser de nouveaux organes de directions. Chiang Ching, qui appuyait le mouvement avec enthousiasme, popularisa cette toute nouvelle expérience acquise par le prolétariat.

Une nouvelle combinaison de « triple union » a unifié les cadres du Parti, les représentants révolutionnaires de l'Armée et les représentants des masses révolutionnaires, pour former l'embryon des centres de pouvoir surnommés Comités Révolutionnaires.

Durant cette période de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, le rôle de Chiang Ching en tant que dirigeante consistait principalement à répandre les conceptions capitales développées par Mao et le Groupe de la Révolution Culturelle, en ce qui avait trait à la formation de nouvelles alliances et de nouveaux comités révolutionnaires pour la conquête du pouvoir, et à la continuation du processus de lutte-critique-transformation.

Après le renversement du plus grand bastion du pouvoir qu'était le Comité municipal de Pékin (étroitement associé à l'ancien département de propagande du Comité central et de l'ancien ministère de la Culture), Chiang Ching présida la célébration de la formation du Comité Révolutionnaire de Pékin.

Elle y déclara que les patrons de la clique de Pékin qui officiaient en coulisses, étaient une « poignée de personnes de haut rang dans le Parti qui avaient choisi la voie capitaliste. Pendant 17 ans, ils ont mis de l'avant avec une persistance opiniâtre une ligne réactionnaire bourgeoise.

La ligne prolétarienne révolutionnaire représentée par le président Mao s'est développée dans la lutte contre cette ligne réactionnaire ». Il fallait donc s'attaquer à toute l'influence de cette ligne, sur les fronts politique, économique, idéologique et culturel et la remplacer par la bannière rouge de la pensée Mao Tsé-toung.



Chiang Ching a lié les changements nécessaires à accomplir à Pékin avec la tâche de compléter la Révolution Culturelle.

Elle amena la nécessité de déclencher un mouvement de masse pour pouvoir poursuivre le processus de lutte-critique-répudiation menant à une transformation, de pair avec la nécessité de forger une alliance pour conquérir le pouvoir.

« Les tâches de lutte-critique-répudiation et transformation dans les diverses régions ainsi que le travail de critique et répudiation auprès des tenants de la voie capitaliste au sein des hauts gradés du Parti, ne sont pas mutuellement exclusives et peuvent être combinées. »

Elle expliquait que chacune pouvait apporter à l'autre un grand élan pour l'accomplissement d'une plus grande et plus profonde exposition et critique des tenants de la voie capitaliste ; elle rappela aux gens que cela nécessitait une bonne étude des oeuvres de Mao ainsi qu'une enquête complète.

Elle parlait de la nécessité de poursuivre avec succès la lutte-critique-répudiation et transformation à tous les niveaux d'organisations et de départements pour continuer la révolution et pour construire le socialisme.

« Cette tâche est majeure et cruciale pour les cent prochaines années à venir ! 24 »

Dans un discours auprès d'une délégation de la province de Anhweï, qui était très divisée politiquement, elle a travaillé vigoureusement avec les deux factions pour l'unification et la formation d'une grande alliance contre les révisionnistes afin qu'un Comité Révolutionnaire soit créé pour la prise du pouvoir.

Seulement alors, disait-elle, « pourrons-nous avoir des gens pour nous diriger.

Et la révolution ne peut se poursuivre sans dirigeants ! » Elle prévint contre le vent de la réaction, qui déjà avait propagé son souffle ravageur et qui avait pour but de dissoudre tous les Comités Révolutionnaires érigés avec l'approbation du Comité central.

« Il faut donc demeurer vigilants contre cette menace. Naturellement, il peut se produire des revirements, mais cela ne devrait pas nous effrayer.

Les revirements au niveau du pouvoir sont des choses normales. Et de plus, la situation à travers le pays est inégale, mais l'inégalité est aussi une chose normale 25. »



10. LA VOIE SINUEUSE DE LA RÉVOLUTION

Il y a deux choses qui exaspèrent la bourgeoisie : les masses faisant la révolution et les dirigeants révolutionnaires au pouvoir qui les appuient et les dirigent.

Comme il n'est pas rare pour la bourgeoisie d'attribuer toute la violence de la Révolution Culturelle à l'appui énergique et « personnel » que Chiang Ching a donné aux masses révolutionnaires, un examen minutieux de son rôle démontre de façon accablante qu'elle s'est battue rigoureusement pour maintenir l'orientation de Mao selon laquelle la poignée de tenants de la voie capitaliste au sein du Parti, pourraient être renversés sans violence.

De façon objective, cela était vrai puisqu'il y avait une révolution au sein même de la révolution - elle avait pris la place sous la dictature du prolétariat dont le mandat principal était de supprimer les ennemis de la classe ouvrière et du peuple. Cette situation est tout à fait opposée à la situation actuelle en Chine, où un nouveau Parti Communiste devra être fondé pour diriger les masses et renverser violemment la dictature de la bourgeoisie établie là-bas depuis 1976.

Bien que la suppression armée des tenants capitalistes n'était pas nécessaire puisque le prolétariat était aux commandes, Mao ne s'est pas dérobé devant le fait qu'une fois les masses entièrement vouées à faire la révolution et à porter des changements catégoriques, certains agissements pouvaient devenir incontrôlables.

Aussi n'était-il pas surpris de voir émerger, au sein de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, certaines lignes opposées à celle du Parti et qui alimentaient la violence pour détourner les masses de la lutte politique principale.

« Au cours de ces transformations prodigieuses qui ont eu lieu durant l'année écoulée, il y a eu souvent des troubles. Les troubles qui se déroulent d'un endroit à l'autre ne sont pas nécessairement liés.

D'ailleurs la lutte, même violente, est bonne ; une fois que les contradictions apparaissent en plein jour, il est plus facile de les résoudre.

Cette grande révolution se déroule avec un minimum de pertes et un maximum d'avantages 26. »

Dans le feu de l'été 1966, lorsque la Révolution Culturelle prenait son essor, Chiang Ching a lutté contre la tendance de l'extrême-gauche à vouloir attaquer physiquement les pro-capitalistes et éviter la tâche la plus difficile à laquelle la gauche appelait, liée à la progression de la lutte idéologique et politique.

« Lutter par la force ne peut qu'atteindre la peau et la chair, tandis que lutter par la dialectique peut toucher au plus profond de leurs âmes 27. »



Pour une part, le virage vers des conflits violents fut spontané et exprimait à quel point la lutte des classes s'aiguisait : les travailleurs se sont engagés dans une lutte verbale, mais sont aussi descendus dans les rues pour prendre le pouvoir ; dès le début de l'année 1967, des Comités municipaux formés à leur initiative contrôlaient au moins huit provinces différentes.

L'Armée a aussi été appelée pour appuyer les travailleurs et les Gardes Rouges lors de ces prises de pouvoir, et les aider à maintenir l'ordre.

Au même moment, dans certains quartiers, les forces de la droite préconisaient ouvertement la violence par la déformation de certains slogans ou par l'incitation faite aux masses de consacrer leurs attaques sur les pro-capitalistes de moindre importance, afin de détourner l'attention d'envers eux-mêmes.

Par exemple, le slogan « Chassons le groupuscule de l'Armée », faisant référence à une poignée de hauts dirigeants révisionnistes, a été pris au pied de la lettre dans certains quartiers et a été appliquée partout où la droite réussissait à l'utiliser, y compris à certains moments, pour saisir des armes à des troupes régulières.

Chiang Ching a ainsi résumé son point de vue à ce sujet : « Ne nous laissons pas prendre au piège. Le slogan est trompeur.

Puisque le Parti, le Gouvernement et l'Armée sont tous sous la direction du Parti, on peut seulement entendre par là qu'il faut chasser du Parti le groupuscule des pro-capitalistes, rien de plus.

Il serait anti-scientifique d'agir autrement. Cela signifierait que nous aurions de mauvais éléments partout et presque tous les districts militaires auraient été raflés sans distinguer le bien du mal.

Même si une minorité de camarades, quelques individus au sein de notre Armée, commettaient des erreurs graves, ils ne mériteraient pas d'être traités de la sorte. »



Chiang Ching poursuit en disant que les jeunes, bien sûr, ont le goût de l'action, mais qu'il était aussi nécessaire de « former les esprits » pour poursuivre l'étape la plus difficile, de la lutte-critique-transformation.

Voyager d'un bout à l'autre du pays plaît bien aux jeunes, mais ils pourraient méconnaître les conditions particulières de chaque endroit et commettre des erreurs.

« Vous devez faire confiance aux masses des localités et vous ne devez pas faire les choses qu'elles peuvent faire elles-mêmes, tout comme nous ne pouvons pas faire la révolution à votre place 28 »

Il n'était pas toujours évident de savoir comment s'y prendre devant la nature contradictoire de la violence produite par le zèle révolutionnaire des masses et l'intensité de la situation.

Car il ne fallait pas freiner le moment révolutionnaire, juste et nécessaire au processus de transformation de la société, pour que le prolétariat exerce sa dictature y compris par l'appropriation complète du pouvoir politique.



S'il y a des désordres et des excès dans une révolution, ce que Mao a assumé pleinement, il est aussi vrai objectivement d'affirmer que de les reconnaître et de les contrôler correctement ne peut pas toujours être possible tant qu'on ne puisse y voir clair. Il se trouve qu'au même moment, certaines forces prennent avantage de cette situation à leur propre fin et pour des raisons opportunistes.

À l'intérieur même du Groupe de la Révolution Culturelle, que Chiang Ching contribuait à diriger, certains éléments (comme Chen Po-ta) ont opté ouvertement pour l'utilisation de la force.

Le peuple suivait leur exemple, surtout après la provocation et la mutinerie des unités militaires qui appuyèrent la droite dans la ville de Wuhan en 1967.

Ces dirigeants du Groupe de la Révolution Culturelle, plus tard identifiés comme des ultra-gauchistes et dont le but était de créer le chaos pour ensuite en tirer parti, n'ont pu être écartés que quelques années plus tard.

La droite quant à elle a aussi organisé la violence parmi une section des Gardes Rouges qui s'est retournée contre le Groupe de la Révolution Culturelle 29.

De son côté, Chou En-laï a toujours eu un trait droitier. En dépit de son alliance avec Mao et de sa présence en public au sein de la gauche, a joué un rôle très centriste dans ce débat, insistant toujours pour le rétablissement de l'ordre et le retour au calme, tout en traitant d'« anarchistes » ceux qui continuaient la guerre civile.

Chiang Ching a constamment défendu l'idée qu'il fallait attaquer et renverser l'ennemi par la voie idéologique et politique.

Elle a dû parfois lancer des appels à la raison aux masses en colère.

Dans ses discours, elle faisait valoir comment Liu Shao-chi fut délogé du pouvoir sans le recours aux armes.

Par contre, lorsque les armes furent déployées, « pour la défense » dans certaines unités des Gardes Rouges, ainsi qu'auprès des forces rebelles contre la forteresse des droitiers à l'intérieur de l'A.P.L., Chiang Ching a approuvé ce geste.

Son fameux slogan « Attaquer par la dialectique, défendre par la force », n'avait pas été mis de l'avant parce qu'il engendrait une certaine confusion sur la ligne de démarcation entre les deux. Cela aurait pu encourager l'utilisation des armes entre des sections au sein du peuple, ne facilitant pas la résolutions qui émergeaient au sein des organisations de masse.

Qui était en mesure de savoir exactement où finissait la défense et où commençait l'attaque ? En 1967, peu après le retour de Mao à Pékin après une visite dans plusieurs régions, une circulaire était publiée interdisant désormais tout saisie d'armes 30.

Durant la Révolution Culturelle, Chiang Ching a développé une relation étroite avec les masses révolutionnaires qui l'ont toujours apprécié en tant que dirigeante du Parti.

Une sinologue russe qui assistait en tant qu'observatrice à une réunion, décrivait ainsi la foule animée qui applaudissait à tout rompre : « Après les discours de Chen Po-ta, Kong Sheng et Lihsueh-Feng, dont je suis incapable de me souvenir, tant leur éloquence ne valait pas cher, Chiang Ching prit la parole, dans son uniforme militaire vert et sa casquette, et ne cessa alors de se déplacer sur l'estrade. Son discours exalta l'auditoire : « Vous êtes la nouvelle génération révolutionnaire, disait-elle.

Vous êtes ceux qui devez poursuivre la révolution.

Vous devez la mener plus loin.

Nous, de la vieille génération, qui partons, nous partons en vous léguant nos vieilles traditions révolutionnaires. (...)

Le Président Mao vous offre la Chine : l'État sera remis entre vos mains. L'école de la Révolution Culturelle est une grande école ! » L'effet fut immédiat.

Dès le départ des dirigeants, la rencontre continua sans relâche. Les porte-paroles se remplaçaient l'un après l'autre, tout un chacun rivalisant d'enthousiasme... 31 »



Par son exemple, Chiang Ching encourageait les autres à oser : oser être comme elle, oser déployer son énergie afin de déterminer la ligne politique en faveur du prolétariat et à son instar, refuser de céder devant les visées contre-révolutionnaires.

Elle identifiait clairement l'ennemi, de façon à distinguer entre les pro-capitalistes de haut rang, d'une part, et ceux qui, d'autre part, subissaient simplement leur influence parce qu'ils étaient trop faibles idéologiquement et faciles à manipuler.

Elle était très habile à conjuguer une confiance dans les masses révolutionnaires à un mépris pour l'ennemi.

Elle le faisait par un leadership pragmatique en aidant les masses à démêler l'écheveau des contradictions complexes et multiples qui surgissaient au sein du peuple, alors que celui-ci luttait pour arracher le pouvoir à ceux qui pavaient la voie au capitalisme.

S'exprimant devant des délégations provenant de différents groupes sociaux, elle insista sur l'importance de renforcer la conception idéologique du prolétariat, d'encourager une critique-autocritique hardie, de lutter avec les idées opposées et de maintenir une position ferme devant les difficultés. Chiang Ching exhorta les révolutionnaires de longue date à préserver leur jeunesse de coeur politique et à laisser aller à subir la fougueuse jeunesse qui gagnait du terrain dans le prolétariat.

Quant à la jeunesse, elle leur dit aussi de pratiquer une sage modération dans la lutte et de surmonter les barrières de l'âge et des caractéristiques extérieures des plus âgés, de façon à mieux appréhender la ligne politique et agir conformément à la ligne juste.

À titre d'exemple, afin de favoriser la création de conditions propices à la prise du pouvoir, en luttant entre autres contre le factionnalisme qui surgissait à quelques endroits, le Groupe de la Révolution Culturelle jouait un rôle important pour unir des dirigeants ou délégués de factions opposées, pour discerner entre les désaccords primaires et les secondaires.

Et à l'instar de Mao (qui disait qu'une grande alliance pouvait se bâtir en éliminant l'égoïsme et en se dévouant au peuple, ainsi qu'en mettant de l'avant une lutte saine), Chiang Ching liait de près la question des conceptions défendues à la possibilité de s'unir pour former de grandes alliances : « Camarades, si vous croyez que ce que je dis est utile, implantons-le.

Nous devons devenir des révolutionnaires, qui appliquons la Pensée Mao Tsé-toung et non pas des membres de ce groupe ou d'un autre.

Cette mentalité de faction est caractéristique de la petite-bourgeoisie ; c'est une mentalité de forteresse, de montagne, de départementalisme ou d'anarchisme dans sa forme la plus sévère...

Il est souhaitable que nous fassions tout un chacun une autocritique.

De cette manière, nous parlerons plus convenablement et chercherons à nous mettre en accord sur les grandes questions, tout en préservant les nuances apportées sur des questions de moindre importance.

S'unir sur le points principaux, c'est comme cela qu'on fait la révolution, c'est comme cela qu'on réussira la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne. (...) Que vous soyez tenants de la ligne révolutionnaire prolétarienne dirigée par le président Mao ou que vous soyez tenants de la ligne pro-capitaliste, veut dire que vous avez fortement raison ou fortement tort.

De là, si vous luttez contre les gros bonnets du Parti qui prennent la voie du capitalisme (ou à Anhweï, contre la petite clique dirigée par Li Pao-hua qui suit la chemin du capitalisme) est-ce une raison de ne pas pouvoir s'unir ou pour ne pas vous unir ? Si on se fie à votre attitude fractionniste, je dirais que vous travaillez pour vous-mêmes et non pour la révolution, le peuple et le prolétariat. »

« ...Vous devez exiger d'abord de vous-mêmes et de votre groupe.

Si vous vous querellez ou livrez des combats armés entre vous et volez vos propres armes, vous ne pouvez pas garder la tête froide pour discerner entre le bien et le mal.

C'est facile de faire la révolution contre les autres, mais difficile de la faire contre soi-même 32. »

Mao aborda cette question d'un autre angle : la possibilité de garder le pouvoir politique.

En parlant de la Révolution Culturelle en marche en 1967, il résuma sa pensée en déclarant que la tâche principale est de s'emparer du pouvoir des mains des capitalistes et de leurs supporters, mais il ajoutait : « Cette tâche consiste en fait à résoudre le problème au niveau des conceptions : il faut éliminer les racines du révisionnisme. »

Autrement, argumente-t-il, comment peut-on considérer la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne comme étant victorieuse ?

En d'autres mots, sans pouvoir politique la transformation socialiste ne peut avoir lieu, mais sans transformation des conceptions idéologiques bourgeoises, il est impossible ensuite de garder le pouvoir.

Quand Mao déclare que la classe ouvrière doit diriger dans tous les domaines, y compris ceux de la culture et de la superstructure, il parle en particulier de l'éducation et des arts. Il affirma de façon très juste, sachant bien que certains en seraient offensés, que les intellectuels n'avaient pas encore abandonné leurs conceptions bourgeoises. « Vous devez réfléchir pour savoir si chaque conception que vous défendez est désuète ou pas 33. »



11. ROMPRE AVEC LES VIEILLES IDÉES

Le domaine de la culture, dans lequel Chiang Ching continua d'exercer son leadership, n'était rien de moins qu'un véritable champ de bataille qui reflétait le problème de la conception bourgeoise du monde, posant tant des problèmes aux révolutionnaires.

De grands progrès et de grandes victoires ont été arrachés péniblement à la bourgeoisie, grâce à la création d'un nouvel art prolétarien, mais dans tous les autres domaines, il fallait s'évertuer à mener la lutte sans relâche. Lors d'une conférence à un forum de Pékin sur la littérature et l'art, en novembre 1967, Chiang Ching fit remarquer que les inégalités qui sévissent dans la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne au sein des comités de propagande et des comités de la culture reflétaient la lutte des classes. À certains s'imposait la nécessité de former des alliances larges et bien que d'autres aient réussi, ils n'étaient pas encore parvenus à des combinaisons de triple union.

Ils devaient étendre les débats et la critique, afin de résoudre certains problèmes au sein des cadres.

« Le mouvement a-t-il été profondément et pleinement développé ? », demande Chiang Ching à son auditoire. « Je ne crois pas. L'ennemi est très sournois ; il contrôle de nombreuses troupes d'acteurs. Une fois que vous avez remporté une victoire sur une de ces troupes, il s'en manifeste aussitôt une autre. C'est pourquoi j'estime qu'il doit y avoir une enquête allant au fond des choses, et une étude approfondie des cercles artistiques et littéraires. Face à l'ennemi, nous devons être constants, durs et précis. »

Plusieurs questions sont soulevées au cours de ce forum : même s'il y a assez d'oeuvres produites, comment les rendre populaires, et en améliorer le contenu ; comment déterminer si les travaux récents atteignent le « sommet » de l'art national ?

Mais de quelqu'angle qu'on le lui présente, Chiang Ching braque son tir sur l'obstacle principal, pour que se réalise la révolution dans le domaine des arts : « La tâche principale demeure de combattre l'égoïsme et de répudier le révisionnisme ainsi que d'organiser des troupes révolutionnaires. Sans quoi, il sera impossible de réaliser des productions culturelles qui serviront la cause du socialisme et seront utiles aux ouvriers, aux paysans et aux soldats.

Vaincre l'égoïsme et répudier le révisionnisme n'est toutefois pas une chose facile. »

Suivant une proposition soumise par une participante au forum, elle se disait favorable à l'envoi de petites équipes à la campagne et dans les usines pour rendre les productions culturelles prolétariennes plus populaires. Mais Chiang Ching insistait pour dire qu'il était inutile d'aller à la campagne et dans les usines si c'était pour éviter la lutte de ligne.

Du même coup, en répondant à ceux et celles qui démontraient de l'impatience, prétendant qu'il n'y avait pas assez de nouveaux opéras en circulation, Chiang Ching répond que cela est compréhensible, car « il ne faut pas que ces opéras soient mauvais, sinon le peuple nous honnira ».

Aussi appelle-t-elle tous les artistes à s'organiser et à se relever les manches, afin de parvenir à une production souhaitable et à une refonte des vieux moules artistiques.

Elle se porte à la défense des huit oeuvres modèles artistiques (ou parangons) qui ont « écarté des planches et de l'écran les empereurs et les généraux, tout comme ils ont servi à en écarter la bourgeoisie ».

Elle loua également les premières oeuvres qui réformaient le ballet et les symphonies car, bien qu'il y ait des imperfections, « ils ont produit un grand effet de par le monde 34 »



En 63 et 65, de grandes percées furent réussies pour la transformation socialiste des arts. Chiang Ching et un petit groupe de camarades étaient à la tête de cette lutte.

Néanmoins, tant que toute la société n'était pas engagée dans la lutte pour le pouvoir politique au sein de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, le problème de former des troupes pour mener à bien cette transformation sur une grande échelle ne pourrait être résolu : il ne serait pas possible non plus de résoudre la difficulté d'étendre la nouvelle culture révolutionnaire au plus profond et dans toute l'étendue des masses en Chine. En 1967, il y eut un début de revirement de situation, au sein duquel, des plans furent conçus pour faire apparaître des productions culturelles modèles sur le grand écran, afin de les rendre plus accessibles à tous les Chinois/ses.

Du travail de grande envergure fut donc entrepris pour populariser ces productions.

On fit appel aux unités culturelles de l'A.P.L. et au travail des équipes mobiles ou volantes (formules innovatrices) qui connaissait un grand essor.

Chiang Ching avait souvent parlé lors de rencontres avec des regroupements d'artistes et d'écrivains au cours de la Révolution culturelle, les défiant de participer pleinement dans les tâches générales de la révolution. Aussi, elle les exhorta à faire la révolution dans leurs unités.

Mais il appert que ce n'est pas avant l'été de 1967 que le Parti a vraiment pu être en mesure d'entreprendre une offensive et de développer le débat sur la culture parmi les masses. Une lutte aiguë entre les deux lignes eut lieu.

Il s'agissait en particulier de transformer les arts et de populariser l'expérience réussie de Chiang Ching quant à la révolutionnarisation de l'Opéra de Pékin.

De nombreux articles et essais virent le jour dans la presse et dans les organes de diffusion théorique.

L'important bilan de 1966 sur le Forum des arts et de la littérature au sein des Forces Armées fut diffusé publiquement.

On y retrouve quelques commentaires de Mao sur ces questions. Les nouveaux modèles d'opéra furent hissés sur le parvis.

Mao et d'autres dirigeants importants comptèrent parmi l'auditoire de ces spectacles. Chiang Ching eut l'honneur de présider la célébration du 25e anniversaire du Forum de Yenan, époque à laquelle de nombreux modèles artistiques avaient été présentés.

Dés le début, la gauche avait pris soin de faire participer pleinement l'A.P.L. au combat tumultueux pour la Révolution Culturelle.

Ceci avait pour avantage de renforcer la ligne de gauche parmi les soldats, exaltant leur niveau de compréhension politique et idéologique et leur permettant de voir la lutte de classes entre les deux lignes qui se menait non seulement dans la société, mais au sein de l'Armée.

Parmi d'autres responsabilités, Chiang Ching fut désignée conseillère à la Culture de l'A.P.L. en février 1966 et conseillère d'un groupe de la Révolution Culturelle érigé dans l'Armée une année plus tard.

Sous la direction de Chiang Ching, sur le front culturel, une lutte intense fut menée pour résoudre des questions relatives à la ligne juste en matière de productions culturelles prolétariennes.

De nouvelles productions virent ainsi le jour.

Des conférences sur la création littéraire eurent lieu et une attention particulière fut accordée pour former une « armée de critiques littéraires et artistiques ».

Quelques-uns des fruits récoltés lors de la Révolution Culturelle, ainsi que la direction imprimée par la ligne de la gauche en particulier, se vérifiaient aisément au sein de l'A.P.L. vers la fin des années 60.

En effet, les soldats se mirent à participer à cette révolution à un niveau qualitativement différent tant en ce qui concernait leurs activités politiques que culturelles.

L'étendue des activités ouvrait la porte à l'étude de la politique jusque dans l'écriture, la production et le jeu de saynètes et d'opéras, l'organisation de forums et de festivals amateurs dans les unités locales de l'A.P.L. à travers la Chine.



12. LA LUTTE DE LIGNE FRANCHIT UNE NOUVELLE ÉTAPE

Bien qu'en décembre 64 elle avait participé au Congrès populaire national en tant que représentante de sa province natale de Shantung, Chiang Ching ne se réalisa véritablement en tant que dirigeante qu'au moment de la Révolution Culturelle.

Ce rôle ne lui fut attribué de façon « officielle » qu'au IXe Congrès du Parti en 1969, alors qu'elle fut élue pour siéger au Politburo du Comité central.

De là, ses responsabilités l'entraînèrent de plus en plus dans les luttes politiques aux échelons supérieurs du Parti.

Elle contribua beaucoup au renforcement de la gauche par ses luttes.

Lors des dernières années de la Révolution Culturelle, la Chine s'affairait à accélérer la transformation socialiste de l'économie, de la santé, des arts et de la culture, particulièrement en s'attaquant au vieux système d'éducation.

Tout cela se faisait par la construction et la consolidation des Comités Révolutionnaires.

Ces changements portaient de durs coups aux assises matérielles et politiques du capitalisme et permit au prolétariat d'étendre son influence sur de nouveaux domaines.

Il y avait là aussi le reflet de profonds changements prenant place dans les rapports de production, qui se coulaient dans de nouveaux moules, étendant le rayon de nouvelles relations sociales dans toutes les sphères de la société pour enfin parvenir à reléguer dans l'ombre les rapports d'exploitation et d'oppression que l'humanité finira par reléguer au fond des encyclopédies poussiéreuses.



Parmi les nouveaux phénomènes qu'on pouvait observer, mentionnons parmi tant d'autres : ouvriers, paysans et soldats inscrits dans les universités ; une jeunesse instruite qui avait déménagé à la campagne et des cadres du Parti qui participaient au travail de production ; des ouvriers qui prenaient part à l'administration et à la refonte de vieilles règles et de vieux règlements ; aux variations de combinaisons de la triple union qui étaient implantées dans tous les domaines, y compris ceux des innovations technologiques dans les usines et dans les régions rurales tout comme les percées scientifiques en général ; les slogans « rouge et expert », ou « la politique au poste de commande des compétences professionnelles », opéraient la fusion entre les personnes armées d'une compréhension politique correcte et celles détenant des connaissances spéciales ; des femmes étaient encouragées à prendre des postes au Parti et à la direction des combinaisons de triple union, comme des personnes plus âgées qui provenaient des masses auxquelles la riche expérience s'alliait à la jeunesse ; la promotion du travail des masses en science et en technologie avait lieu, ainsi que des travaux servant de modèle culturel, travaux qui devenaient la propriété des masses ; une littérature révolutionnaire poétique et colorée surgissait ; l'étude des théories marxistes était organisée sur une grande échelle ; des cliniques gratuites ou presque étaient érigées à la campagne où des omnipraticiens aux pieds nus, dont certains étaient des paysans formés en médecine, dispensaient des soins.

D'aucuns s'opposaient à ce qu'ils appelaient ces « nouvelles choses socialistes » qui avaient émergé dans le mouvement de renversement de la droite.

Nombre de leurs principaux représentants furent remplacés aux postes de haut rang du Parti.

Cependant, même certains, tels Lin Piao, qui se disaient de fidèles camarades de Mao, finirent par déformer ces innovations de la Révolutions Culturelle.

Dès la lettre de juillet 1966 à Chiang Ching, Mao lance cet avertissement : « Certaines idées de nos amis me dérangent grandement » : il référait à la manière dont Lin Piao faisait la promotion des idées de Mao, c'est-à-dire comme si ces idées avaient une force sacrée.

« Tout est exagéré », a écrit Mao à Chiang Ching 35.

Celui-ci nous rappelle la grande irritation qu'éprouva Mao à l'endroit du stupide refrain de Lin Piao en 1959, alors qu'il venait d'être promu au poste de ministre de la Défense : « Une seule des phrases de Mao égale 10 000 phrases ! 36 »



Chiang Ching dresse un court bilan de ce qu'avait fait Lin Piao.

Elle écrit que dans la période subséquente au renversement des pro-capitalistes, qui avaient à leur tête Liu Shao-chi, Lin Piao avait été désigné comme le successeur de Mao au IXe Congrès du Parti.

Il a alors tenté d'usurper la direction du Parti, celle de l'État et celle de l'Armée.

En plus de faire publier ses livres en se servant du nom de Mao (en éditant largement les oeuvres du président défunt et en les intitulant « La pensée Lin Piao », suivant l'expression de Chiang Ching), il créa un grand désordre en suscitant des batailles, brandissant des armes et en effectuant d'inutiles déploiements de force militaire.

Chiang Ching nous parle également de son mode de vie extravagant, de son zèle confucéen « à devenir un officiel et à s'enrichir 37 ».

À la veille de la préparation du procès de Lin Piao par le Comité central, où Chiang Ching joua un rôle déterminant, ce bilan pour être anecdotique, n'en est pas moins révélateur.

Ce traître comme elle l'appelle, s'est niché tout près de Mao et son brutal coup de dague pour s'emparer du pouvoir avait profondément ébranlé le Parti et la société au moment où les gains de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne et l'unité nationale étaient en voie de consolidation.

Sans compter que cet épisode s'inscrivait dans un contexte historique où l'Union soviétique faisait de plus en plus peser une menace militaire sur la Chine. Des dix luttes majeures entre les deux lignes dans le P.C.C. (jusqu'en 1972), Chiang Ching nous fait savoir que la plus sérieuse s'était livrée contre Lin Piao.

Lin Piao avait été associé de très près à la gauche dans le milieu des années 60, quand une grande alliance s'avérait nécessaire pour intensifier l'offensive contre la droite et contre le danger de rétablissement du capitalisme. À cette époque, Lin Piao joua un rôle important en prenant en charge l'éducation socialiste dans l'Armée, rectifiant la ligne de Peng Te-huai (qui prônait la modernisation de l'Armée par une dépendance à l'égard de la technologie avancée, à l'instar des révisionniste soviétiques).

Mais Lin Piao et ses partisans ont également profité de l'occasion pour raffermir une base de soutien et pour glorifier Mao, et même, jusque dans une certaine mesure, Chiang Ching, afin d'en faire des icônes qu'ils aspiraient à renverser. Lin Piao voulait faire appel à l'Armée pour faire rétablir l'ordre et, en 1967-68, il prétendait déjà que la production devait primer sur la lutte politique.

Au IXe Congrès du Parti, en 1969, il était clair que le programme de Lin se situait à droite : il écrivait que la contradiction principale résidait entre le système socialiste avancé et les forces productives arriérées - le même bouilli prétendu par Liu Shao-Chi, qui avait été défait nombre d'années auparavant.

Il considérait que les nouvelles choses socialistes faisaient obstacle aux masses, qui avaient besoin de se procurer « nourriture et pétrole ».

Bien qu'il était manifestement opposé à la capitulation de Chou En-laï face aux impérialistes américains (puisque Lin préférait les « mauvais socialistes » de l'U.R.S.S.), il partageait bien des points en commun avec les visées plus modérées, mais essentiellement droitières, de la ligne de modernisation de Chou, dont sa capitulation devant l'impérialisme.

Lin a également opposé une résistance à la volonté de Mao de rétablir le rôle dirigeant du Parti et de réduire celui de l'Armée 38.

À cette époque, une lutte intense eut lieu aux échelons du Parti au sujet de la situation internationale. En 1970, Mao était d'accord avec Chou (mais pas pour les mêmes raisons) à s'ouvrir sur l'Occident, créant ainsi une alliance entre la gauche, les forces centristes de Chou (majoritairement la vieille garde du centre du Parti) et les hiérarchies militaires.

Cette alliance s'était constituée pour mettre en échec la ligne de Lin Piao. Défait sur le plan politique, ce dernier continua à mijoter son coup et alla jusqu'à comploter pour assassiner Mao. Lin dû finalement s'enfuir en U.R.S.S. Il est mort dans un écrasement d'avion en 1971.

Il brandissait le drapeau rouge, mais en réalité, il combattait le communisme.

« D'un côté, son drapeau était rouge, mais de l'autre, on voit une tête de mort posée sur des os entrecroisés sur fond noir », avait fait remarquer Chiang Ching 39.



La chute de Lin Piao eut pour effet de renforcer considérablement la position de Chou En-laï au sein du Parti. Le contexte exigeait que la gauche se plia aux exigences de Chou, qui préconisait le retour des droitiers écartés pendant la Révolution Culturelle, afin de combler les postes laissés vacants suite au départ de Lin Piao et de sa clique, tant au sein de l'Armée que dans les instances du Parti.

Même Deng Xiao-ping fut alors réhabilité.

Si les droitiers semblaient faire ouvertement une autocritique de leurs erreurs politiques, dans l'ombre, ils gagnaient en force.

La gauche était dans la nécessité de déterrer les racines du révisionnisme de Lin Piao et, bien que faible sur le plan organisationnel, elle était libre sur la scène politique pour armer les masses en vue de faire comprendre l'essence droitiste de la ligne de Piao.

La gauche a exposé secondairement le visage sournois et le masque ultra-gauchiste dont il se revêtait.

L'idéalisme de sa ligne se résumait par « ce sont les génies qui créent l'histoire ». Bien que la droite était devenue plus forte, c'est la gauche qui triompha au Xe Congrès du Parti, en 1973, soutenant la Révolution Culturelle et les nouvelles avancées socialistes, aussi bien que la nécessité de comprendre la production pour promouvoir la révolution. Chiang Ching fut élue de nouveau au Politburo, mais au Comité Permanent il n'y eut que Chiang Chun-chiao pour se rallier complètement au camp de Mao.

Chiang Ching parle des effets positifs de l'étude organisée parmi les cadres pour répudier la ligne de Lin Piao, ainsi que du progrès dans le niveau politique des masses, et leur habilité consciente à agir en appliquant de façon plus systématique le marxisme-léninisme-pensée Mao Tsé-toung.

En 1974, la gauche entreprit la campagne pour critiquer Lin Piao et Confucius. Le confucianisme prêchait aussi le rétablissement de vieux systèmes comme l'esclavagisme, la capitulation face aux agresseurs de l'étranger et la soumission aveugle des masses, qui n'avaient pour tout droit que celui d'être dominé. Cette campagne était une attaque directe visant principalement Deng Xiao-ping, et secondairement Chou En-laï, dont le programme centriste était la voie qui conduisait à la montée de la droite.



13. LA DERNIÈRE GRANDE BATAILLE

Chiang Ching se heurta de nouveau aux révisionnistes au sujet de la culture. Ceux-ci appelaient à copier les modèles de l'Occident sous prétexte de « modernisme ».

Ils cherchaient de surcroît à jeter le discrédit sur l'art prolétarien, tels les opéras révolutionnaires et autres oeuvres de la Révolution Culturelle.

Là où cette ligne prévalait, de durs coups furent portés à l'art révolutionnaire.

Sous l'influence de Chou En-laï qui voulait ouvrir les portes de la Chine à l'Occident, de nombreux orchestres étrangers furent invités en Chine. Ceci n'était qu'un des fronts sur lesquels s'engageait une vive lutte entre le Premier-Ministre et Chiang Ching.

Elle s'inscrivait dans le cadre d'une offensive générale accrue de la part de la droite, offensive qui comprenait une bataille importante, comme nous venons de le voir, sur le terrain de la culture. (...)

Au 10e anniversaire de l'Opéra révolutionnaire de Pékin, en 1974, y figuraient des articles et des célébrations qui soutenaient la nouvelle culture socialiste et critiquaient de façon assez ouverte ceux et celles qui jugeaient comme « inconvenants » les rôles d'héroïques paysans sur les tréteaux et qui réclamaient le retour des princes et des empereurs.

De nouveaux ouvrages furent publiés au même moment, qui popularisaient la transformation socialiste dans diverses sphères.

Ces ouvrages vantaient entre autres les exploits réalisés dans la production agricole, les développements exemplaires, autant dans l'industrie que dans les champs pétrolifères de Taiching.

On s'étendit longuement sur le travail des médecins aux pieds nus. (...)

Il apparut que Mao avait entériné la présentation de certains films auxquels Chiang Ching s'était opposée.

Cela n'aurait été que d'une importance mineure, mais la droite en fit grand cas lorsqu'elle prit le pouvoir et procéda à l'arrestation subséquente de la « Bande des Quatre ».

Ces petites divergences entre le Président Mao et Chiang Ching furent alors grossièrement exagérées.

Les « chefs d'accusation » furent étayés en relation avec ces menus faits hypertrophiés.

Chiang Ching et la gauche dénoncèrent et firent avorter - du moins temporairement - la présentation d'un nouveau film par Hua Kuo-feng.

Celui-ci avait réalisé une production cinématographique où on faisait l'éloge des mérites de sages professeurs, les comparant à des horticulteurs raffinés 40.

Faire produire des oeuvres si hautes en couleurs, mais qui vont à l'encontre du travail d'éducation prolétarienne dans les écoles, contrastait de façon marquante avec le film Rompre avec les vieilles idées, réalisé à la même période par de jeunes adeptes de la ligne révolutionnaire propre à la gauche. Ce film jette un relief vivant sur la lutte des classes.

C'était une production audiovisuelle qui défendait le droit de fréquenter l'école dans une société bourgeoise et dénonçait les professeurs traditionnels et bigots qui proposaient un programme d'éducation adapté aux besoins de la bourgeoisie, davantage qu'à ceux des masses qui oeuvraient à transformer la société.



Bien que le film ait été tourné pendant la période du Grand Bond en avant, sa thématique sied parfaitement aux années 70.

Ce film devint en effet un classique d'une portée universelle : étudiant(e)s et dirigeant(e)s du Parti mettaient un terme à l'arrogance bourgeoise des vieux jours et entraînaient dans leur sillage nombre d'indécis.

La lutte politique au sein du Parti s'accentuait plus que jamais : deux lignes se formaient, deux routes se traçaient.

Nombre de révisionnistes reconquérirent des positions très importantes.

En janvier 75, au IVe Congrès populaire national, bien que la gauche triompha sur le plan politique, les postes-clés que détenait la droite sur le plan organisationnel lui permirent de reprendre l'initiative.

Un appel de la gauche fut lancé. Il fallait donner plus de force aux Comités Révolutionnaires et ce, à tous les niveaux.

De son côté, Chou En-laï élabora un plan de modernisation de la Chine avec pour cible l'an 2000. Ce plan nécessitait l'aide de l'impérialisme et il ne pouvait mener qu'à une restauration des rapports capitalistes et à une accentuation des divisions entre classes sociales.

Le projet de Hua Kuo-feng visant à mécaniser l'agriculture s'inspirait des mêmes principes droitiers.

Chiang Ching, pour sa part, qui suivait de près ce qu'accomplissait la brigade d'agriculture de Tachaï 41 avait taxé le rapport de Hua de « révisionniste », à la conférence sur Les leçons de Tachaï, en octobre 75.

Une vive lutte s'ensuivit. Le rapport de Hua s'inscrivait dans un mouvement de droite et n'était rien d'autre qu'une tentative d'esquiver la question centrale du jour, à savoir si la révolution dirigerait ou non le développement général de l'économie 42.

Mao et la « Bande des Quatre » répondirent à la droite par une campagne pour étudier et renforcer la dictature du prolétariat.

Ils firent remarquer que bien que la propriété qui se développait était principalement socialiste, il restait encore bien des vestiges du capitalisme dont il fallait venir à bout : le système de marchandises, les échelles salariales graduées et les inégalités matérielles.

Le droit bourgeois - les privilèges sociaux et matériels basés sur une différenciation de la valeur de la force de travail d'un individu par rapport à un autre - n'avait pas encore été éliminé.

Cette lutte entre deux lignes s'étendit bientôt au domaine de l'éducation. Il s'agissait de déterminer si une révolutionnarisation de l'éducation serait, oui ou non, un frein à la production.

Certains professeurs de l'Université de Tsinhua, écrivirent à Mao, se plaignant d'« une baisse du niveau des performances académiques », référant aux critères bourgeois d'éducation.

Mao fit appel à un débat de masse, et ceux qui allaient devenir la « Bande des Quatre » y participèrent activement.

Chang Chun-chiao entre autres, y joua un rôle clé.

Sa remarque maintenant célèbre, fut sans doute conçue au cours de cette lutte, alors qu'il affirmait : « Donnerons-nous la première place aux intellectuels, aristocrates, dont la conscience et la culture sont bourgeoises, ou donnerons-nous la première place aux ouvriers conscients, mais sans culture ?

Des deux options, laquelle choisissez-vous ? »

La droite déforma sa question.

Il a donc été prétendu que Chang voulait dire que les ouvriers n'avaient pas besoin de se cultiver, faisant ainsi abstraction de la notion que la culture servait la bourgeoisie 43.

La lutte devint encore plus aiguë, particulièrement contre Deng Xiao-ping, le représentant avoué le plus à droite dans le Parti.

Son orientation politique s'exprimait incontestablement par le slogan : « Chat noir, chat blanc, peu importe : pour autant qu'il chasse les souris. »

Son Programme général comprenait une synthèse de ses points de vue.

Il y préconisait « trois directives » (qui se voulaient une alternative et une négation de la lutte de classe prolétarienne) comme ligne principale.

Après la mort de Chou En-laï en janvier 1976, la capacité de la gauche à dénoncer Deng à fond (sans que Chou ne soit là pour le protéger) a été gravement favorisée, et ainsi la gauche a-t-elle pu reprendre l'initiative.

Par contre, elle n'était pas assez forte pour désigner Chang Chun-chiao comme ministre dans la lutte pour la succession.

En plus du rôle déterminant que joua Chang Chun-chiao dans la Révolution Culturelle en tant que membre du Groupe de la Révolution Culturelle, ainsi que celui qu'il joua à Shanghaï où la puissante tempête de janvier balaya les vieilles figures de proue révisionnistes - il était devenu un dirigeant de première importance dans l'ensemble du Parti.

Il a été l'auteur d'articles novateurs, tels que De la dictature intégrale sur la bourgeoisie 44.



Il a aussi joué un rôle très important dans le Groupe d'Étude sur l'Économie Politique de Shanghaï, d'où découlèrent des travaux écrits de grande envergure qui portaient sur l'analyse des classes en rapport avec les lois économiques sous le socialisme et les contradictions qui y apparaissent.

Bien que la gauche ait réussi à entraver la marche vers l'avant de Deng, il fallut faire une concession : accepter comme ministre Hua Kuo-feng.

Celui-ci n'était pas une figure de proue de la droite, et n'avait pas un grand nombre de tenants à sa suite.

Chiang Ching fut très active au sein de cette lutte ; elle y joua un rôle très en vue, ce qui exaspéra Deng Xiao-ping. Dans une tentative de coup de force, en avril 76, la droite fut l'instigatrice d'émeutes contre-révolutionnaires sur la Place Tienanmen.

Le but prétendument visé était d'attaquer Mao et ses politiques, sous prétexte de reconnaître la ligne de modernisation de Chou En-laï.

Mais celle que les révisionnistes voulaient vraiment attaquer, était Chiang Ching, par le biais d'une mesquine étiquette confucéenne : on a ainsi surnommé cette révolutionnaire l'« Impératrice Dowager » - du nom d'un souverain féodal qui réprima la rébellion des Boxers en 1900, et qui, du point de vue historique, ressemble bien plus au régime de Deng Xiao-ping, qui a massacré des étudiants et des ouvriers en 1989.

À la suite de cette manifestation qui fut stoppée par l'A.L.P. et les milices populaires, on a prétendu que ce fût la tâche de Chiang Ching d'organiser le retrait des couronnes commémoratives de la place Tienanmen, initiative dont la droite fut très offensée, et que l'on essaya d'utiliser contre Chiang Ching 45.

Deng fut démis de tous ses postes pour avoir incité à ces émeutes, alors que Mao et la gauche renforcèrent la campagne pour la dictature du prolétariat.

Le tir fut donc braqué sur Deng et sur la ligne déviationniste de droite.

Mao y fit son célèbre commentaire : « Vous faites la révolution, et vous ne savez pas où se trouve la bourgeoisie : et bien, elle est en plein coeur du Parti Communiste.

Les tenants de la voie capitaliste sont toujours sur la route du capitalisme. »

C'était l'essence même du contentieux et de l'offensive de la gauche. Elle fut menée par les Cinq, Mao et la « Bande des Quatre », qui en constituaient le noyau politique, et qui portèrent un dur coup à la droite.

L'épisode suscita de vives confrontations entre les deux quartiers généraux au sein du Parti. Il va de soi que les révisionnistes firent tout en leur possible pour empêcher cette campagne et le développement du mouvement de masse 46.



14. LA MORT DE MAO ET LE COUP D'ÉTAT CAPITALISTE

Le 9 septembre 1976, Mao Tsé-toung rendit le dernier soupir.

Alors que les masses chinoises, ainsi que des millions de personnes à travers le monde, partageaient le deuil de cette perte inestimable, les révisionnistes chinois pavoisaient et se préparaient à la prise du pouvoir. Avec le « successeur officiel » Hua Kuo-feng à leur tête, avec en mains ce qu'ils avaient réussi à usurper comme pouvoir, y compris une partie des forces armées, les révisionnistes étaient en mesure de réussir un coup d'État quelques mois après la mort de Mao. Aussitôt, ils firent arrêter la « Bande des Quatre », de même que ceux et celles qui les soutenaient.

La dictature du prolétariat connut une fin brutale prompte en Chine. (...)

Nombreux étaient ceux et celles qui savaient que le glas de la révolution venait de sonner.

Beaucoup ne se laissèrent pas tromper et devinèrent le courant de droite derrière la fausse propagande qui pleuvait de la Chine.

Les médias prétendirent que c'était la « Bande des Quatre » qui constituait en réalité « les révisionnistes de droite », qu'ils étaient, surtout en ce qui concernait Chiang Ching, des renégats du Kuomintang, que les Quatre - Chiang Ching, Chang Chun-chiao, Yao Wen-yuan et Wang Hung-wen - ainsi que bon nombre de leurs camarades, étaient des ennemis de Mao ; il était même dit que Mao aurait approuvé cette répression « pour venir à bout de la contre-révolution ».

Dans un effort pour consolider le pouvoir, les droitiers ont même été plus bas en ajoutant une campagne de salissage à l'endroit de la « Bande des Quatre », les couvrirent d'opprobre, prétextant de menus incidents du passé, auxquels ils donnèrent un vernis aux proportions dignes d'une conte fantastique.

Ces confucéens des temps modernes, faisant tout leur possible pour resserrer l'étreinte des chaînes de la tradition à l'aide d'un moulin à rumeurs qu'ils érigèrent pour leur cause, ont choisi d'attaquer avec le plus de férocité la femme Chiang Ching.

Comme épouse de Mao, c'était à elle de supporter tout ce que la Chine avait essuyé jusque là en adversité, mais elle devait porter le fardeau particulier de toutes les erreurs qui avaient été commises au cours de la Révolution culturelle. (...)



Il y eut une résistance, et ce de bien des façons.

Un des principaux chefs d'accusation lors du « procès » de 1980, était qu'il y avait eu un complot basé sur les Forces Armées à Shanghaï, en riposte au coup d'État.

Chang Chun-chiao ainsi que d'autres nombreux partisans, bénéficiaient d'une grande influence dans cette ville, acquise pendant la lutte aiguë et les profondes transformations générées par la Révolution Culturelle.

Shanghaï s'était rendue célèbre en raison de la Tempête de janvier, alors que des millions de travailleurs s'étaient joints aux paysans, étudiants et autres, pour reprendre le pouvoir usurpé par les révisionnistes du Comité municipal du Parti, en 1967.

En août 1976, comme une confrontation dans le Parti se dessinait de plus en plus clairement, des armes et des munitions furent distribuées aux milices populaires de Shanghaï, fortes d'un million de membres, qui avaient été mises sur pied par le Comité municipal révolutionnaire quelques années plus tôt.

Dès que fut connue l'arrestation des Quatre, un plan d'action détaillé avait été mis en oeuvre pour bloquer les portes des aéroports, fermer les bureaux de la presse et ceux de la radio, partir des grèves et des manifestations ainsi que pour mobiliser les milices de femmes et d'hommes afin d'agir conjointement avec la garnison de commande de Shanghaï.

Un dirigeant communiste plus âgé, Zhu Yong-jia, très proche de Chang Chun-chiao et dirigeant du comité de rédaction du comité du Parti de Shanghaï, avait rallié les révolutionnaires afin de les préparer à une action, appelant à faire une « nouvelle Commune de Paris ».

« Si l'on ne résiste que pendant une semaine, cinq jours ou trois jours, qu'importe !

L'important est de faire savoir au monde entier ce qui se passe réellement ici ! » En d'autres mots, cette révolte ferait comprendre qu'un coup révisionniste venait d'avoir lieu, mais que des révolutionnaires y résistaient, avec fureur.

La plupart des reportages qui ont traité de l'événement émanèrent de Hong Kong. Il y eut quelques compte-rendu dans la presse révisionniste elle-même, mais les détails de cette rébellion demeurent peu connus.

La révolte connût par ailleurs certains ratés, les dirigeants ayant été rappelés expressément à Pékin. Il était de plus en plus évident que les révolutionnaires avaient perdu l'initiative d'un grand soulèvement.

En effet, les auteurs du coup d'État dépêchèrent des troupes dans la ville pour empêcher le moindre soulèvement.

Néanmoins, le 13 octobre, il y aurait eu des combats armés parmi certaines unités de la milice.

Une semaine plus tard, la « Bande des Quatre » était mise à l'ombre. Dès que leur arrestation fut connue à Shanghaï, soit le 10 octobre, des milliers de personnes se rassemblèrent chaque jour à des quartiers généraux stratégiques pour voir ce que les dirigeants entreprendraient comme action.

Zhu avait fait une intervention avisée quand il parla de la nécessité d'entreprendre une action rapide et décisive qui devait avoir un grand soutien des masses. Soutien qui viendrait non seulement de Shanghaï, mais de tout le pays 47.



Pour bon nombre de raisons, la direction du mouvement fut incapable de se mobiliser au bon moment. Elle permit toutefois de souligner davantage la position décisive et sans compromis qu'avaient pris Chiang Ching et Chang Chun-chiao pour défier l'autorité des auteurs du coup d'État.

Malgré l'écran de fumée qu'avait créé Hua et qui cherchait à faire croire qu'on agissait tel que l'aurait voulu Mao, dans les rues de Chine on en voyait de plus en plus parmi les masses qui faisaient le salut des cinq doigts dans le dos des responsables au pouvoir.

Nul besoin de paroles pour comprendre : c'étaient bien les révolutionnaires, Mao et les Quatre, qu'on venait de renverser.

Un observateur de l'extérieur qui était alors à Shanghaï rapportait que toutes les conversations et mouvements étaient contrôlés de près, et qu'une tension très forte se faisait sentir parmi le peuple.

Des affiches officielles du Comité central qui dénonçaient la « Bande des Quatre » avaient été arrachées des murailles de la gare de Nanjing 48.

Il reste sans doute encore bien des histoires à révéler et à découvrir : les contre-révolutionnaires exercèrent une répression féroce avec rapidité et brutalité, arrêtant et emprisonnant des sympathisants connus de la gauche, dont un grand nombre furent exécutés.

Ce putsch en Chine portait un terrible coup au peuple chinois ainsi qu'aux peuples à travers le monde. La Chine révolutionnaire était une lumineuse source d'encouragement pour des centaines de millions de personnes qui aspiraient à s'affranchir du joug de l'oppression. Pendant les années 60, la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne dirigée par Mao et son quartier général au sein du Parti, avait prévenu ce renversement du pouvoir prolétarien et la restauration du capitalisme. C'est par l'éducation des masses qu'ils réussirent cet exploit.

Pendant dix longues années, des avancées époustouflantes furent réussies par ceux et celles que l'histoire nous montre comme piétiné(e)s et exclu(e)s.

Combien de terrain le prolétariat aura gagné au cours de ces événements ? La science révolutionnaire fut développée, enrichie à un niveau qualitatif jusque là jamais réalisé ; on parla bientôt du marxisme-léninisme-pensée Mao Tsé-toung ; de nouveaux partis et de nouvelles organisations virent le jour un peu partout à travers le monde, inspirés par la révolution chinoise.

De voir une transformation aussi radicale et profonde de la société sous le règne du prolétariat, se faire détruire par une poignée de dirigeants réactionnaires bourgeois qui étaient au sein même du Parti et qui usurpaient le pouvoir d'État afin de satisfaire à leur propres visées, était insupportable.



Mais du même coup, au coeur de la révolution socialiste, Mao avait donné de nouvelles armes aux marxistes-léninistes, qui devaient se les approprier, pour comprendre la nature de ce renversement et leur montrer comment poursuivre le chemin vers le communisme.

Ceci n'était pas une tâche facile. Il était nécessaire de faire la synthèse de la nature de la société socialiste ainsi que celle des contributions de Mao à la science aussi bien que des événements qui prirent place en Chine. Animés par la courageuse opposition revendiquée par Chiang Ching et Chang Chun-chiao, nombre de partis et d'organisations marxistes-léninistes ont refusé d'abandonner la révolution devant la trahison des révisionnistes chinois ainsi que l'offensive idéologique anticommuniste que la bourgeoisie mit en branle du même coup.

Au contraire, ces partis et ces organisations réussirent à effectuer des avancées qualitatives importantes et modifièrent la crise du mouvement communiste international, pour en faire émerger des courants basés sur cette nouvelle compréhension maoïste. (...)

Après avoir arrêté le quartier général révolutionnaire, le régime mena des purges de grande ampleur dans le Parti et en 1977 les exécutions commencèrent.

En moins de deux ans, les Comités Révolutionnaires avaient été abolis. Des examens pour l'admission à l'université et le système de privilèges (qui bénéficiaient largement aux enfants des dirigeants du nouveau Parti) furent réintroduits.

Des productions cinématographiques et autres genres d'oeuvres produits sous la surveillance de Chiang Ching furent modifiées ou carrément interdites.

Les révisionnistes remirent en circulation la vieille version du ballet de la Fille aux cheveux blancs, version qui avait eu cours avant la Révolution Culturelle. Ils mirent l'accent sur l'aspect amoureux du ballet. L'infanticide à l'endroit des petites filles revit le jour et les nourrissons mâles redevinrent un item de grande valeur. Des vautours de l'étranger tels que Coca Cola et Mitsubishi s'élancèrent pour créer de nouveaux marchés en Chine, où la production s'accommodait des besoins de l'impérialisme.

On encouragea cette production par des systèmes de primes et des divisions salariales se creusèrent rapidement. En bref, un capitalisme revanchard regagna du terrain.

Tout ceci dans une atmosphère lourde de répression, atmosphère qui traînait avec elle la nouvelle ligne « officielle » du Parti.

La lutte de ligne politique qui avait mis de l'avant la construction du socialisme pendant plus de 20 ans fut brutalement stoppée.



15. LE PROCÈS LE PLUS CÉLÈBRE DU XXe SIÈCLE

Pendant quatre ans, Chiang Ching et son camarade Chang Chun-chiao furent emprisonnés sans qu'aucun chef d'accusation ne soit porté contre eux.

Les journaux de Hong Kong ont prétendu que Hua avait essayé de faire avouer à Chiang Ching ses prétendues fautes, mais une Chiang Ching méfiante répondait constamment : « Je vous défie de me relâcher ! »

En 1978, Hua fut remplacé par celui qui tirait véritablement les ficelles, Deng Xiao-ping.

Pour se venger, Deng avait chargé le révisionniste Peng Chen (un des membres du vieux comité municipal de Pékin, comité qui avait été renversé durant la Révolution Culturelle) d'interroger Chiang Ching avant son procès de 1980.

Un des commentaires de la grande révolutionnaire nous apprenait qu'elle s'occupait d'être le plus en forme possible lors de son incarcération, afin de défendre du mieux qu'elle le pourrait la Révolution Culturelle.

« À tous les jours au chant du coq, je sortais mon épée de son fourreau », dirait-elle en référant à une phrase bien connue d'un général qui disait cela quand il se préparait à la bataille.

La tactique première des révisionnistes fut de renverser le verdict rendu contre Lin Piao.

Il s'agissait désormais de l'étiqueter comme un ultra-gauchiste, ce qui ouvrait la voie à une condamnation des dix accusés comme faisant partie d'une clique.

Ils firent appel à de vieux généraux de droite qui avaient comploté contre Mao au début des années 70 : ceci dans le but de rendre plus confus les lignes politiques qu'il fallait démêler. Il appert que l'assignation filmée de l'avant-procès a dû être reprise trois fois, parce que les interruptions imprévisibles de Chiang Ching rendaient le film « impropre » à la télédiffusion.



Quand on lui demanda si elle désirait un avocat pour sa défense, elle n'hésita pas à dénoncer ce procès comme étant un procès bidon : « Je désire les services d'un avocat uniquement s'il s'appuie sur les IXe et Xe Congrès du Parti pour me défendre ! »

La requête fut rejetée. Chiang Ching déclara alors qu'elle se défendrait elle-même.

Elle rédigea un document de 181 pages, afin de dénoncer les accusations honteuses que faisaient peser contre elle les révisionnistes : « Si selon vous la gauche a prétendument enfermé ses dirigeants de longue date avec des preuves fabriquées, je me demande bien ce que vous-mêmes êtes en train de faire ?

Qu'y avait-il de mal dans le fait que la Révolution Culturelle ait renversé le quartier général capitaliste de Liu Shao-chi et Cie et remis le Parti sur la route de sa mission historique ? »

Elle alla au coeur même de la question : « Je n'admettrai pas que j'ai commis des crimes, non pas que je veuille me couper du peuple, mais parce que je suis innocente. Si je dois admettre quoi que ce soit, eh bien c'est que j'ai perdu la bataille dans une lutte pour le pouvoir.

« C'est vous qui détenez le pouvoir maintenant, alors il est très facile d'accuser qui que ce soit d'avoir commis des crimes et fabriquer des fausses preuves à cet égard.

Mais si vous croyez pouvoir tromper le peuple chinois ou les peuples du monde entier, vous vous leurrez.

Ce n'est pas moi mais votre petit groupe qui subit un procès, un procès dont l'histoire sera le seul juge. »

Son plaidoyer lors d'un procès qui débuta le 20 novembre 1980 et se termine en janvier 1981, agît précisément en ce sens.

Contrairement à Wang Hung-wen et Yao Wen-Yuan, qui capitulèrent au tribunal et avouèrent tous les crimes dont on les accusait, en espérant semble-t-il, qu'on leur imposerait une peine moins sévère.

Pour ce qui est de Chang Chun-chiao, il garda un silence rempli de défi (sauf quand il rejeta les accusations) refusant de reconnaître la cour, où présidaient 35 juges et un prétoire rempli d'un auditoire gagné d'avance aux révisionnistes, auditoire qui se répandaient en quolibets de toutes sortes.

Chiang Ching pour sa part, n'avait rien d'autre que du mépris pour ses bourreaux et retournait les accusations dont on l'incriminait en répondant : « La plupart de ceux qui sont présents aujourd'hui, y compris votre président Liang Hua, se sont compétitionnés pour critiquer Liu Shao-chi. Si je suis coupable, que dire d'eux ? »

Elle mit en évidence le lien entre ses actions et la ligne révolutionnaire de Mao, ce qui fit taire encore une fois ses juges, qui ne pouvaient la contredire et en étaient réduits à répéter « Silence ! ».

« Puisque vous ne me laissez pas parler, disait alors Chiang Ching, pourquoi ne pas me remplacer par un Bouddha en argile dont vous pourriez faire le procès...

J'étais la femme de Mao pendant 38 années ; j'ai suivi la ligne de Mao et celle du Parti.

Ce que vous cherchez à faire, c'est de faire payer à une veuve la dette du son mari défunt. Alors je vous réponds que je suis heureuse et honorée de payer la dette du président Mao ! » Puis, dans une atmosphère chargée à bloc, elle répéta une phrase célèbre de Mao, qui disait qu'un vrai révolutionnaire n'avait pas plus à répondre au ciel qu'aux lois.

Les autorités n'en pouvaient plus. Comme on l'entraînait vers la sortie du tribunal, elle s'écria : « Il est juste de se rebeller ! À bas les révisionnistes de Deng Xiao-ping ! Je suis prête à mourir ! » Ebranlés, les révisionnistes durent réviser leur plan d'action et la teneur de leur coup monté.

Les actions de Chiang Ching inspirèrent le peuple chinois, comme ceux de par le monde. Même les réactionnaires chinois furent forcés de l'admettre.

Il y eut des manifestations et des rassemblements au Sri Lanka, où l'ambassade chinoise fut attaquée, comme il y en eut aux États-Unis, à Paris et à Londres.

Une réclame dans le journal Le Monde fut même publiée, signées par 2.000 personnes, dans le but de « sauver Chiang Ching ». Une nouvelle solidarité se forgea à la Conférence des Partis et Organisations Marxistes-Léninsites, du Mouvement Communistes International, ce qui déclencha un processus de rapprochement des maoïstes à travers le monde. Ceci permit d'asseoir les assises du Mouvement Révolutionnaire Internationaliste (M.R.I.) en 1984.



Le régime de Deng tergiversa pendant plus d'un mois avant d'annoncer la mise à mort de Chiang Ching et de Chang Chun-chiao. Les révisionnistes se demandaient ce qui leur ferait plus de tort : exécuter ces deux révolutionnaires, ou permettre aux deux prisonniers politiques les plus célèbres de la planète de continuer à vivre. On leur laissa deux ans pour avouer leurs fautes.

Quand Chiang Ching entendit prononcer le mot « mort », elle s'écria « Ce n'est pas un crime de faire la révolution ! »

Chiang Ching fut détenue dans la prison séculaire de Quin Cheng, et passa un grand nombre d'années en détention isolée. Quand elle refusait de coopérer avec les autorités, on la privait de nourriture et d'exercice, ou les geôliers la battaient.

Pour la plus grande partie de cette période, elle n'avait le droit de parler que lorsqu'elle était interrogée.

La seule personne à qui elle avait le droit de parler était sa fille Li Na.

En prison, Chiang Ching brodait son nom sur les poupées qu'on lui faisait confectionner pour les rendre impropres à la vente et refusait de rédiger l'autocritique mensuelle que les autorités imposaient aux prisonniers politiques.

Un article paru dans le New York Times en 1983 nous apprend qu'elle brava ses geôliers en écrivant sur les murs de sa cellule des slogans invitant à lui « couper la tête ».

Elle demanda qu'on lui accorde une rencontre avec Deng Xiao-ping, qui refusa. En prison, elle rédigeait des articles pour dénoncer les révisionnistes.

Elle a demandé à participer au XIIe Congrès du Parti, qui devait avoir lieu pendant l'été 1982, afin qu'elle puisse exposer ses conceptions politiques. En 1983, la sentence de Chiang Ching fut commué en une sentence d'emprisonnement à vie.

Il est dit que des tracts circulaient à Pékin et à Shantung qui appuyaient la Révolution Culturelle et dénonçaient les pro-capitalistes au pouvoir. On dit que c'était des tracts écrits de sa main et clandestinement sortis de prison.

En 1980, à la fin de l'année, un message fut imprimé en Chine et clandestinement envoyé à des marxistes-léninistes à l'extérieur du pays.

Ce message faisait l'éloge de la position courageusement défendue par Chiang Ching et Chang Chun-chiao, et expliquait certaines difficultés relatives à la ligne politique, qui avaient empêché les révolutionnaires d'agir promptement pour reprendre le pouvoir par les armes après le coup de 1976. C'est un appel auprès du peuple afin qu'il juge les quatre ans passés sous la dictature de la bourgeoisie.

Plus tard, des sources nippones confirmèrent que ce message circula par le biais de nombreux tracts dans toute la Chine et qu'il y eut même une propagande d'agitation ouverte dans les rues 49.



16. L'ÉPOUSE DE MAO ET SA CAMARADE PENDANT 38 ANS

Avant sa mort le 9 septembre 1976, Mao s'est acquitté de deux tâches importantes : il s'est rendu au Politburo et, en juillet, a écrit une lettre à Chiang Ching. Lors de la réunion, il a fait des reproches à la droite qui espérait sa mort imminente pour continuer à mettre en oeuvre leurs complots.

Du même souffle, il rappela que l'U.R.S.S. et les États-Unis étaient des ennemis.

Sa lettre à Chiang Ching fait état d'un défi à venir, lettre non dénuée d'une autocritique tranchante.

Il y exhorte Chiang Ching à se battre pour reprendre en mains le pouvoir usurpé.

« Tu as été trompée.

Dès aujourd'hui, nous nous séparerons, chacun de nous sera dans un monde différent, que l'un et l'autre demeure en paix.

Ces quelques mots seront possiblement le dernier message dont je te ferai part.

La vie humaine est limitée, mais le combat révolutionnaire est sans limites. Durant ma lutte de cette dernière décennie, j'ai essayé d'atteindre les sommets de la révolution, sans y parvenir, hélas. Reste à toi de l'escalader jusqu'à ses hauteurs. Si tu échoues, tu t'abîmeras dans un gouffre sans fond. Ton corps sera rompu, Tes os seront brisés 50. »

Ces derniers mots de Mao étaient à l'intention des révisionnistes qui détenaient le pouvoir et qui cherchaient à créer un clivage entre Mao et sa femme. Mao a alors lancé l'appel suivant : « Aidez Chiang Ching à brandir le drapeau rouge ! » (...) D'autre part, si Mao, à la fin de sa vie, exhorta les révolutionnaires à aider Chiang Ching pour brandir le drapeau rouge, c'est parce qu'il savait qu'elle était l'une des seules des échelons supérieurs du C.C. à pouvoir le faire 51 !




La vérité est que Mao soutenait Chiang Ching qui elle-même soutenait Mao pendant toutes ces années où ils ont combattu ensemble pour faire la révolution.

Il va sans dire que cette union dans la lutte ne s'est pas réalisée sans qu'ils aient eu à résoudre certaines divergences.

Mais la résolution de ces problèmes s'inscrivait dans l'impressionnante vague révolutionnaire dont ils faisaient partie, période dont ils comprenaient tous deux la nature historique et l'importance cruciale, période pour laquelle ils revendiquèrent leurs responsabilités afin de faire progresser la cause de la révolution.

(...) Une accusation maintes fois répétée contre Chiang Ching était qu'aucune femme ne devrait avoir l'audace de se battre pour gagner un rang de pouvoir au sein de la révolution ! (...)

Les diffamateurs et ennemis politiques qui prônaient une idéologie d'égoïsme redoublaient d'efforts pour prouver que l'ambition de Chiang Ching n'était rien de moins que purement personnelle.

De là, il n'y eut qu'un pas à franchir pour s'immiscer dans le mariage de Chiang Ching et de Mao. (...)

Bien que certains dirigeants du Parti disaient qu'il fallait tenir Chiang Ching à l'écart de la vie publique, cette révolutionnaire devint malgré eux une véritable communiste à Yenan.

Elle y jouissait du soutien de Mao grâce à la ligne juste qu'elle mettait de l'avant et grâce à ces activités politiques. C'est en raison de ces qualités révolutionnaires qu'elle fut appelée dans les années subséquentes à jouer un rôle très important dans la phase préparatoire de ce qui devint la Révolution Culturelle. Mao savait que son épouse connaîtrait bien d'autres difficultés et qu'elle aurait à subir des attaques personnelles. (...)

Pour ce qui est de Chiang Ching, sa vie fut un combat ardent et une lutte acharnée contre l'oppression sexiste.

Elle s'est battue contre l'oppression féodale et les traditions ; contre le chauvinisme et contre « la place que devait occuper une femme dans la société » ; contre le caractère prétendument sacré du confucianisme en regard à la sollicitude que la femme devrait avoir pour le ménage et la règle ridicule qui préconisait qu'elle assume tous les défauts de son mari.

Comme femme du président Mao, cela signifiait qu'elle devait faire face à nombre de rumeurs et attaques mesquines, comme elle devait faire face à nombre d'attaques virulentes de la part des ennemis de Mao, qui par lâcheté, s'en prenaient à elle.

Ceci n'était pas sans effet sur leurs vies personnelles. Dans les années 50, ces mêmes contre-révolutionnaires profitèrent de l'absence de Chiang Ching qui subissait à l'époque un traitement pour le cancer, pour lui enlever un enfant qu'elle avait élevée et qu'elle aimait beaucoup, un enfant de Mao qui provenait d'un mariage antérieur.



De par sa vie politique, Chiang Ching a toujours encouragé avec ardeur les femmes à se révolter contre l'oppression sexiste. Dans le domaine des arts, elle s'est battue pour que le théâtre ne soit plus dominé par des hommes.

Cette lutte n'était pas adressée qu'aux dramaturges, aux metteurs en scène et aux musiciens, mais concernait aussi les acteurs et actrices.

Elle voulait faire valoir les femmes en tant que comédiennes révolutionnaires.

Pour ce faire, Chiang Ching a écrit des rôles pour des femmes et a ajusté de vieux scénarios patriarcaux pour que ses paires puissent y trouver leur compte : les femmes devinrent des héroïnes révolutionnaires.

Un des modèles principaux qu'elle voulait incarner dans ses pièces, était celui de femmes qui se dépouillaient du joug étouffant de jadis pour assumer un rôle révolutionnaire. (...)

Chiang Ching mena aussi un combat similaire en ce qui concernait le leadership au sein du Parti.

Le Parti Communiste Chinois était un produit de la société chinoise - le Parti émergeait de la vieille oppression - et bien qu'il était fort différent sous le rapport qualitatif et incarnait l'émancipation totale, il n'était pas dépourvu des influence d'une société semi-féodale et coloniale. Il y avait encore à combattre bien des conceptions arriérées en ce qui avait trait aux femmes.

Ces vieilles habitudes et modes de pensée, le Parti les a combattues.

Leur caractère caduc et insensé fut démoli par le Parti, qui a enrôlé des femmes pour faire la guerre de libération 52.

Après la libération, un travail sérieux fut entrepris pour faire tomber les barrières qui se dressaient devant les femmes, et leur permettre de prendre part à la production sur un pied d'égalité avec les hommes.

On les avait aussi encouragées à se joindre au Parti et ont les avait éduquées dans le but de les former comme cadres et dirigeantes. Une lutte idéologique fut également entreprise avec les hommes afin d'assurer aux femmes que leurs époux partagent les responsabilités de ménage.

Des centres d'alimentation, des écoles et des garderies par exemple, furent érigés pour libérer les femmes des âpres travaux ménagers.

Cela s'inscrivait dans le Grand Bond en avant et le mouvement pour établir des Communes.

Les politiques socialistes sont très importantes pour servir d'encadrement, mais la rapidité à transformer profondément les inégalités entre hommes et femmes peut être accélérée dans le processus de construction du socialisme par la révolutionnarisation de l'idéologie du peuple et par le travail des femmes qui s'engagent dans une lutte sérieuse afin de se révolter contre le vieil ordre pour s'approprier « la moitié du ciel ».

C'est ce que permit le pouvoir prolétarien. (...)

En ce sens, Chiang Ching fut un modèle très inspirant. Comme dirigeante communiste, elle s'est battue pour l'émancipation jusqu'à sa mort.



17. ASSASSINÉE, TANT ET AUSSI LONGTEMPS QU'ON N'AURA PAS PROUVÉ LE CONTRAIRE

On nous a arraché Chiang Ching après qu'elle eut vécu dans les donjons du régime chinois. En plus de l'abjection qui émane des hauts cercles de Pékin qui tardèrent à annoncer la mort de cette révolutionnaire et ne le firent que trois semaines après la date qui commémore le massacre de la place Tienanmen, il y a la très suspecte description d'un suicide.

S'en référant aux enseignements insensés de Confucius, en essayant de nous refiler les notions de la tradition et prétendant que se donner la mort consiste en un acte de rébellion contre l'autorité, le régime a tenté de se nettoyer les mains du sang qui les souille.

En attendant qu'il soit possible de le prouver autrement, tout indique que le régime est l'auteur d'un assassinat.

Elle n'a jamais fléchi dans aucune tempête et sous la grêle d'attaques personnelles, elle s'est toujours vaillamment battue pour dénoncer au grand jour la vermine qui est à la tête de la Chine d'aujourd'hui. Aussi a-t-elle évoqué sans cesse et jusqu'à la fin, la nécessité de prendre le pouvoir, comme en fait foi son testament.

Une autre raison qui motiverait son assassinat serait qu'elle dénonçait de vive plume les massacres de la Place Tienanmen et disait que ce régime ne saurait vivre longtemps.

L'hypothèse d'un suicide est aussi mis en doute par des érudits et des « sinologues », suivant l'information qui nous provient de quelques journaux de Hong Kong.

Premièrement, la fille de Chiang Ching lui a rendu visite une semaine avant sa mort. Elle rapporte que sa mère était en excellente santé et que moralement, elle se portait mieux qu'avant, en partie parce qu'elle avait été transférée dans une cellule plus spacieuse.

Deuxièmement, il n'y a pas un geste que Chiang Ching aurait pu poser sans être vue puisqu'elle était filmée nuit et jour.

Elle avait annoncé qu'elle écrirait une autobiographie et elle était furieuse quand la direction de la prison lui enleva ses manuscrits.

Dans ces feuillets, elle relate qu'un geôlier lui a écrit un poème d'une telle inspiration qu'elle désirait mener son travail avec son concours.

La direction pénitentiaire en eut vent et renvoya le geôlier dans son village natal.



Même sa mort posa un grand problème aux dirigeants de la Chine.

Un magazine de Hong Kong nous parle de 16 affiches contestataires qui bravaient Pékin, y compris un slogan collé sur les grilles d'une école primaire qui disait : « Longue vie à la ligne révolutionnaire de Mao Tsé-toung ! Mort au faux Parti Communiste de Deng Xiao-ping ! »

On apprit que sur une des murailles latérales d'un hôtel, il y avait un portrait de style militaire de Chiang Ching, portant l'inscription suivante : « Président Mao Tsé-toung, nous ne vous oublierons jamais ! »

Dans ce qui dût ressembler à une opération de commandos essayant d'étouffer des étincelles ici et là, Deng Xiao-ping fit proscrire la vente de tous livres ou documents qui portaient sur Chiang Ching.

Il n'y a pas jusqu'à de vieilles photographies d'elle qui furent frappées d'interdiction. Des razzias eurent lieu, on empêchait tout objet qui put rappeler Chiang Ching de circuler.

Les postes de télévision et les radios ont été eux aussi soumis au même décret, n'ayant pas le droit de faire jouer d'opéras ou de ballets révolutionnaires.



18. OSONS ÊTRE COMME CHIANG CHING !

C'est une perte inappréciable que celle de Chiang Ching : elle n'a jamais cessé d'étudier la théorie révolutionnaire et d'observer la pratique marxiste-léniniste de Mao Tsé-toung.

En fait, elle s'est livrée corps et âme à la parfaire, elle s'est toujours tenue aux côtés de Mao et de la révolution, de façon confiante et sans idée de compromission. Elle était une dirigeante qui incarnait le prolétariat international au pouvoir et qui a pourvu les communistes et révolutionnaires à travers le monde d'une dose énorme de courage et de détermination. Elle s'est aussi refusée à abandonner la révolution socialiste chinoise qui se faisait détruire par la bourgeoisie à l'intérieur du Parti.

En ce sens, la position qu'elle a maintenue, comme celle de Chang Chun-chiao, n'étaient rien de moins qu'un reflet de la véracité de la Révolution Culturelle et de l'expérience chinoise dans son ensemble.

Quel contraste avec 1956, époque de la mort de Staline, lorsque pas un membre à la tête du P.C.U.S. ne s'est porté à la défense du drapeau rouge, ne l'a soulevé au-dessus de la bourbe et du marais du révisionnisme soviétique !

Et cette perspicacité de Mao qui l'exhorta quelques mois avant sa mort, de s'évertuer à mener la révolution à son terme, sachant que les enjeux étaient aussi importants que les risques.

Le rôle que Chiang Ching prit sur elle d'assumer ne doit surtout pas être vu comme négligeable.

Cette époque où l'histoire s'accomplissait et à laquelle elle prenait part poussa la révolution vers le sommet le plus haut qu'ai connu jusqu'à ce jour le prolétariat international.

Il faut insister toutefois sur le fait que personne ne peut jouer un rôle déterminant sur le succès ou la défaite de la révolution.

De cette Grande Révolution Culturelle Prolétarienne est née une Chiang Ching qui n'a jamais vacillé.

Elle a inspiré, grâce à sa fermeté et sa détermination, des millions de personnes de par le monde qui l'ont observé et ont pu se forger une opinion sur la débâcle révisionniste.

Une Chiang Ching qui tourna en dérision ceux qui l'avaient fait emprisonner, comme elle avait ridiculisé la couronne et les dirigeants de la contre-révolution : même ces gens ne purent qu'être impressionnés devant sa personne si forte et sa fermeté idéologique.

Elle relança la grenade politique qu'ils lui avaient lancée, ne cherchant pas par cette occasion à blanchir son nom, mais à exposer la vraie nature des révisionnistes.

Elle devint une femme très compromettante - pour eux et pour la bourgeoisie en général.

Le monde entier a vu une femme qui avait commis pour tout crime celui d'avoir accompagné Mao Tsé-toung dans la révolution.

Sa vie reflète une confiance stratégique dans les masses, ainsi que dans l'ultime justesse et le triomphe de la cause communiste ; sa vie reflète son engagement indéfectible envers le prolétariat, lui permettant d'écrire un brillant chapitre de son histoire, même si on a pour l'instant supprimé ces pages.

L'attitude que l'on adopte et le rôle qu'on revendique face aux obstacles, voire même face aux reculs, peuvent mener à des bonds qualitatifs importants dans l'avancée révolutionnaire. Qu'il s'agisse de vaincre l'ennemi, suivant la perspective d'une lutte à long terme, ou d'atteindre à quelque but égoïste ou récompense immédiate pour éviter la mort, des conditions carcérales déplaisantes et ainsi de suite : cela fait partie d'une réflexion cruciale qui porte sur l'attitude qu'on a envers la science et l'idéologie marxiste-léniniste, pensée Mao Tsé-toung. On peut comparer l'attitude et le sens des responsabilités de Chiang Ching à l'égard des opprimés de ce monde et des masses révolutionnaires, à l'égard de l'évolution de l'histoire, avec ceux de Wang Hung-wen et Yao Wen-yuan qui contribuèrent à la Révolution Culturelle, mais qui faillirent idéologiquement lorsqu'ils furent mis à l'épreuve par l'ultime test d'assumer une position de classe juste et faire des sacrifices.

Ses ennemis disaient de Chiang Ching qu'elle aspirait à devenir une impératrice, mais c'est son héroïsme révolutionnaire que leur propre tyrannie s'est attachée à détruire : sa conception était à l'opposé de celle des dynasties féodales. Elle agissait en fonction du prolétariat international et non pour elle-même ; elle crachait avec mépris sur les manigances de l'ennemi démontrant que leur cause historique était sans valeur, à une époque où la déception et la démoralisation se faisait sentir, suite à la perte incalculable que constituait la défaite de la révolution chinoise, qui avait à une certaine époque pris tant d'ampleur. On l'entendait dire à la suite de son procès, pleine de confiance : « J'ai réussi ce que j'avais entrepris ! »



(...) En faisant le bilan de cette période historique, qui apposa de gros stigmates sur les bourgeoisies éclopées de tous les pays, période où l'on constata la montée vertigineuse du prolétariat international, il demeure que la lutte des classes est plus que jamais à l'ordre du jour. Qui plus est, nous pouvons et nous poursuivrons notre chemin encore plus vertigineux dans les années à venir.

Comme Mao qui la précéda, l'héroïsme révolutionnaire de Chiang Ching n'est pas un modèle facile à dépasser, mais elle nous passa le flambeau.

Elle nous aida à hisser le drapeau rouge.



NOTES 1. In André Malraux, Anti-mémoires, extrait d'une entrevue avec Mao Tsé-toung.

2. D'après Roxanne Witke, Camarade Chiang Ch'ing, 1977.

3. Wang Ming était alors influencé par la ligne du Komintern (IIIe Internationale), qui préconisait d'appliquer le modèle soviétique comme stratégie militaire, plutôt que la guerre populaire prolongée dans les campagnes. Wang Ming dirigea les opérations clandestines du Parti à Shanghaï, essentiellement en suivant la ligne de Moscou, de 1931 à 1937.

4. Une lutte très vive, dont Lu Hsun était un des principaux acteurs, se menait concernant l'orientation juste à appliquer dans le domaine de l'art.

Cette ligne a divisé les principaux ténors des milieux artistiques, longtemps après la fin de la guerre civile. Lu Hsun a combattu farouchement la ligne nationaliste de « défense nationale », lui opposant son propre slogan : « une littérature du peuple, pour une guerre révolutionnaire nationale », un slogan qui fut adopté par Mao.

5. Tenu en mai 1942, ce forum fut le théâtre d'un débat très vif.

À son terme, Mao articula la ligne de masse du Parti sur la relation entre la politique et les arts, devant des milliers de paysans venus de villages éloignés, qui débordaient de la salle de lecture jusque dans les rues de Yenan pour l'écouter. Plusieurs intellectuels du milieu artistique s'étaient aussi déplacés.

6. Les « Trois grandes règles de discipline » sont les suivantes : obéissez aux ordres dans tous vos actes ; ne prenez pas aux masses une seule aiguille, un seul bout de fil ; remettez tout butin aux autorités.

Les « Huit recommandations » : parlez poliment ; payez honnêtement ce que vous achetez ; rendez tout ce que vous empruntez ; payez ou remplacez tout ce que vous endommagez ; ne frappez pas et n'injuriez pas les gens ; ne causez pas de dommages aux récoltes ; ne prenez pas de libertés avec les femmes ; ne maltraitez pas les prisonniers.

7. En particulier Chou Yang, du ministère de la Culture, en représailles à la dénonciation faite par Chiang Ching de son sérail d'auteurs pro-révisionnistes.

8. Le Parti dirigeait la réforme agraire, mais il se fiait sur les masses pour l'application de l'expropriation et de la redistribution des terres.

Il envoyait des groupes dans diverses régions du pays pour sensibiliser les paysans à ce dessein. Bien que cette tâche fut déjà entreprise dans les régions qu'avait traversées l'Armée de libération avant 1949, les régions demeurées sous le contrôle du Kuomintang jusqu'à la libération restaient arrièrées et réactionnaires.

Ce n'est qu'au moment où le processus de conscientisation de la paysannerie put être organisée, qu'elles adoptèrent les conceptions révolutionnaires.

9. Tiré de Roxanne Witke, Camarade Chiang Ching, 1977.

10. Mao Tsé-toung, « Soyez attentif à la discussion sur La vie de Wu Hsun », 20 mai 1951, tiré du livre Les archives de Mao, Jérome Chen, 1970.

11. Oeuvres choisies de Mao Tsé-toung. tome 5, page 446.

12. Le « Grand bond en avant » se traduisit en 1958 par une intense activité des masses, particulièrement à la campagne.

Les paysans se prirent en main et commencèrent à développer le secteur de l'industrie légère en appui à l'agriculture (petits moulins à grains, fonderies rudimentaires).

Cette initiative permettait d'établir de plus grandes fermes collectives, dont la part de propriété publique augmentait, aussi bien que la création de Communes Populaires.

La politique de Mao visant à « remuer ciel et terre pour atteindre de meilleurs résultats économiques, plus rapidement, de la meilleure façon et le plus largement possible, vers la construction du socialisme » était intensément critiquée au Comité central comme menant à la ruine de l'économie.

Cette critique amena Mao à faire cette fameuse déclaration : « Les désordres causés le furent à grande échelle et j'en prends la responsabilité ».

Il se référait en partie aux difficultés rencontrées et aux excès commis, qui s'avéraient bien secondaires face aux avancées énormes et aux nouvelles étapes franchies grâce à l'initiative consciente des masses.

Peu de temps après, les techniciens et conseillers soviétiques étaient soudainement rappelés en U.R.S.S., portant un coup sévère à l'économie chinoise.

À ce grave problème s'ajoutèrent une série de catastrophes naturelles et ces deux phénomènes contribuèrent à intensifier la lutte de ligne au sujet de la construction du socialisme. La Chine se mit à suivre désormais une voie différente de celle de l'Union soviétique.

13. Un de ces écrivains, Liao Mo-sha, farouchement anti-Mao et co-auteur avec Wu Han de la chronique « Trois familles villageoises », avait connu Chiang Ching dans le cercle des artistes et écrivains radicaux de Shangaï.

Mo-sha fut l'un des témoins au procès des Quatre, accusant faussement Chiang Ching d'avoir maintenu des liens à l'époque avec le Kuomintang.

Celle-ci fut expulsée de la cour pendant le témoignage de Mo-sha le « fameux écrivain », pour avoir « dérangé » le témoin avec de constantes interruptions et pour l'avoir harcelé pendant la Révolution Culturelle.

14. « L'intelligence du peuple », 11 février 1966, dans Les archives de Mao, Jérome Chen, 1970, page 103.

15. Chang Chen-chiao, De la dictature intégrale sur la bourgeoisie, Éditions en langues étrangères, Pékin, 1975.

16. Chu Lan, Dix ans de révolution à l'Opéra de Pékin, dans la Revue de Pékin, no 31, 2 août 1974.

17. Documents du IXe Congrès du Parti Communiste Chinois, Éditions en langues étrangères, Pékin, 1969.

18. Dwan Taï, Chiang Ching, Exposition Press, Hicksville, New York, 1974. Voir également, La Revue de Pékin, 25 août 1967.

19. Chiang Ching. La plupart des discours cités ont été réimprimés sous deux collections : Chu-Hua-min & Arthur Miller, Madame Mao, un portrait de Chiang Ching, Hong Kong, 1968, ou Documents du Parti Communiste Chinois au cours de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, 1966-67.

20. Idem.

21. Tao Chu était une des figures dominantes du Parti dans le domaine de la propagande. Il arguait entre autres que les écrivains devraient expliquer les défauts que l'on retrouvaient chez les masses dans les communes. Yao Wen-yuan lui répondit ceci : « Il existe une chanson dont le titre est Les masses dans les communes sont admirables. Est-il vraiment nécessaire de la modifier en y ajoutant une phrase disant que les masses dans les communes ont des défauts ? »

22. Dwan Taï, Chiang Ching, Exposition Press, Hicksville, New York, 1974. Voir également, La Revue de Pékin, 25 août 1967.

23. Depuis 1962, alors que la gauche préparait l'opinion pour une épreuve de force, Chiang Ching s'était vu confier la tâche de préparer un document jetant les bases d'une ligne prolétarienne dans les arts. Ce document fut connu plus tard comme la Lettre circulaire du 16 mai. Elle avait été publiée à l'origine dans le journal du Parti Le drapeau rouge, sous le titre La voie en avant des « intellectuels ».

24. 20 avril 1967 : Discours de Chiang Ching à la réunion inaugurale du Comité Révolutionnaire de Pékin (version éditée en anglais), Hsinhua News Agency, Pékin, 20-04-67.

25. 5 septembre 1967, Discours important livré par Chiang Ching à la Conférence des représentants de Anhweï, publié dans la Circulaire du Comité central du Parti Communiste Chinois du 9.09.67.

26. Mao Tsé Toung analyse la Révolution Culturelle, collection non-officielle de citations de 1967, publié en Appendice de Histoire de la Révolution Culturelle Prolétarienne, Volume II, Jean Daubier, p. 149.

27. 28 novembre 1966, Chiang Ching s'adresse au Rassemblement des travailleurs de la littérature et des arts de la Révolution Culturelle de Pékin, Hsinhua News English Agency, Pékin, 3.12.66.

28. 5 septembre 1967, Discours important livré par Chiang Ching à la Conférence des représentants de Anhwei, publié dans la Circulaire du Comité central du Parti Communiste Chinois du 9.09.67.

29. Une de ces sections droitières s'appelait le Comité d'action unitaire. Il était constitué de plusieurs fils et filles de dirigeants du Parti associés à la droite. Pendant une courte période en 1967, ils ciblèrent Chiang Ching dans leurs attaques.

30. Ordre du Comité central du Parti Communiste Chinois, du Conseil d'État, de la Commission Centrale Militaire et du Groupe Central de la Révolution Culturelle concernant l'interdiction de saisie d'armes et de tout autre matériel militaire provenant de l'Armée Populaire de Libération, 5.09.67.

31. Dwan Taï, Chiang Ching, Exposition Press, Hicksville, New York, 1974. Voir également La Revue de Pékin, 25 août 1967.

32. 5 septembre 1967, Discours important livré par Chiang Ching à la Conférence des représentants de Anhwei, publié dans la Circulaire du Comité central du Parti Communiste Chinois du 9.09.67.

33. Adresse à la délégation militaire albanaise (Mai 1967), AWTW n° 1, 1985.

34. Discours de la camarade Chiang Ching, publié comme document du Comité central du Parti Communiste Chinois, dans Chung-fa, 354, 13.11.67.

35. Han Suyin, Du vent dans la tour, Mao Tsé-toung et la révolution chinoise 1949-1976, HERTS : Triad Panther, 1978.

36. Dans un document provenant des rencontres de Luschan en 1970, Mao réplique à cela avec son habituel humour, teinté d'ironie : « Une phrase est égale à une phrase. Il n'y a que sur un sujet où j'ai parlé en six phrases, et où cela n'a égalé qu'à rien, même pas à une demi- phrase... » Mao fait ici référence à la demande répétée de Lin Piao que le Parti réhabilite la position de chef d'État, laissée vacante par Lu Shao-chi, afin que lui-même puisse l'occuper. Mao n'a rien voulu entendre de cette requête (raconté dans le livre de Roxanne Witke, Camarade Chiang Ching).

37. Roxanne Witke, Camarade Chiang Ching, 1977.

38. Bob Avakian, La défaite en Chine et l'héritage légué par Mao Tsé-toung, Publication du R.C.P./U.S.A. (Parti Communiste Révolutionnaire des États-Unis d'Amérique), Chicago, 1978.

39. Roxanne Witke, Camarade Chiang Ching, 1977.

40. Edoarda Masi, China Winter, E.P. Dutton, New-York, 1982. (Publié sous le titre original de Per la China, 1978.)

41. Au milieu des années 60, Mao avait donné à Tachaï le titre de brigade modèle de développement agricole pour tout le pays. La paysannerie de cette région avait réussi à surmonter des désastres naturels et plus d'un obstacle pour atteindre les meilleurs rendements, grâce à la mobilisation des masses locales contre l'idéologie bourgeoise et révisionniste.

42. Raymond Lotta, And Mao makes Five, Chicago Banner Press, 1978 ; on y retrouve une réimpression de certains documents clés de l'époque 1973-76 produits par la gauche et par la droite (sur Tachaï, p. 35 ; Chang Chun-chiao & la culture, p. 36 ; sur Deng et les trois directives, p. 274.)

43. Ibidem.

44. Chang Chun-chiao, De la dictature intégrale sur la bourgeoisie, Éditions en langues étrangères, Pékin, 1975. (Voir Annexe 4.)

45. Lorsqu'elle fut interrogée à ce sujet au cours de son procès, Chiang Ching rétorqua : « Je n'étais pas responsable de la répression de l'incident de Tienanmen. Vous pouvez faire témoigner le Ministre de la sécurité publique à ce sujet. » Or, il ne s'agissait de nul autre que Hua Kuo-feng lui-même.

46. Voir note 40, Idem.

47. New World Press, Un Grand procès dans l'histoire de la Chine, Pékin, 1981 ; compte-rendu des révisionnistes chinois sur le procès. On y parle entre autres de l'accusation de « rébellion armée », en page 25, une des principales charges retenues contre Chiang Ching.

48. Voir note 38, Idem.

49. Ces tracts clandestins étaient signés par le « Comité central du Parti Communiste Chinois (marxiste-léniniste) » et l'impression date de janvier 1981. Quelques mois plus tard, un autre pamphlet fut publié sous la même signature, dénonçant cette fois le 6e Plénum du 11e Comité central en juin 1981. Ils appelaient au renversement des révisionnistes au pouvoir.

50. Il utilisa cette dernière phrase dans une lettre envoyée 10 ans plus tôt, alors que la Révolution Culturelle culminait, référant du même coup aux risques qu'amenait cet appel suprême à continuer la révolution et à empêcher la restauration du capitalisme.

51. Dans un reportage non officiel paru dans un journal de Hong Kong, on retrouve une citation de Chiang Ching, affirmant à la Cour que la déclaration de Mao faite à l'endroit de Hua Kuo-feng au moment de sa succession, alors qu'il lui confiait « Avec vous au pouvoir, je suis tranquille », avait été en partie supprimée. La suite disait : « ... si vous avez la moindre question demandez à Chiang Ching. »

52. Le ballet Le détachement féminin rouge et le film L'Ile des milices féminines, étaient tous deux basés sur des événements historiques réels.